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délivrée du joug musulman; l’empereur, avec les princes confédérés, y passerait tout un hiver pour présider à l’établissement du nouvel ordre de choses.

Resterait à diviser les pays conquis et à attribuer « aux princes et aux républiques » une part en rapport avec les sacrifices faits par chacun. « Mais, dit spirituellement La Noue, il me semble qu’il vaut mieux attendre à départir le gasteau, quand nous l’aurons entre mains qu’en discourir en vain à présent. »


II.

Lusinge et La Noue écrivaient leurs projets de destruction de l’empire ottoman au plus fort de la guerre des trois Henri. Quelques mois après, Henri de Guise et Henri III périssaient assassinés. Henri de Navarre, à qui La Noue attribuait, non sans l’en avertir, le commandement des croisés de France, devenait le titulaire d’une monarchie qu’il lui fallait conquérir les armes à la main. Pendant près de vingt ans il n’eut guère le loisir de remanier, même sur le papier, les affaires d’Orient. Sully, dans ses Économies royales, nous dit formellement que ce fut dans le courant de l’année 1607 qu’il commença à l’entretenir de son grand dessein. Or qu’est-ce que ce grand dessein de Henri IV? C’est, à peu de chose près, le vingt-deuxième discours de celui que Henri IV lui-même avait appelé un grand homme de guerre et un grand homme de bien. Voici à quelle occasion le roi reporta sa pensée sur le projet de La Noue, mort, comme on le sait, en 1591, au siège de Lamballe. Quelques mois auparavant, M. de Brèves, qui avait séjourné vingt ans à Constantinople en qualité d’ambassadeur de France, était revenu dans son pays. Il eut probablement de longs entretiens avec Henri IV qui le nomma immédiatement conseiller d’état et gentilhomme de sa chambre. Ces entretiens roulèrent forcément sur le Grand-Turc et sur les chrétiens d’Orient. La conclusion de tout ceci fut que de Brèves partirait pour l’ambassade de Rome. Soyons plus explicite. À ce moment deux voies s’ouvraient devant le pacificateur de la France. Suivant la politique inaugurée par François Ier, il pouvait poursuivre l’abaissement de la maison d’Autriche, et l’on sait que c’est à ce dernier parti qu’il se rangea peu avant de mourir. Il pouvait aussi, obéissant à ses nobles instincts et aux suggestions déjà bien anciennes de La Noue et de l’opinion, s’efforcer d’entraîner l’Europe chrétienne dans une entreprise commune et glorieuse. Cette dernière pensée l’absorba presque complètement en 1607 et en 1608, et il n’y renonça que lorsqu’il eut reconnu qu’elle était irréalisable. Toujours est-il qu’il discuta très longuement et très sérieusement