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néanmoins avec l’ancien monde assez d’analogie pour que la première pensée fût de rattacher la vie de l’un à celle de l’autre. Faire rentrer cette création inconnue dans les termes des Écritures n’était pas chose facile : les enfans de Japhet avaient-ils traversé l’île de Platon, l’Atlantide, pour peupler ces territoires sans avoir à tenter un long voyage par mer, ou n’étaient-ce pas simplement les anges qui, après avoir pris soin des animaux dans l’arche, ce qui est notoire, avaient présidé à leur répartition dans les diverses parties du globe? Cette dernière opinion était celle de Torquemada. On eût pu s’en tenir à cette explication très satisfaisante, mais, à cette époque de foi ardente et d’inquisition sévère, on voulut aussi démontrer que le Nouveau-Testament avait été prêché sur ce continent ; de là la légende de l’homme blanc et barbu que l’on exploita, et dans lequel il fut orthodoxe de reconnaître saint Thomas! Comment en douter? Ne trouvait-on pas au Mexique, comme symbole du culte, la croix? Il est vrai qu’on la trouvait aussi en Égypte et en Syrie dans la plus haute antiquité, mais il était permis de l’ignorer; chez les Aztèques existait même une cérémonie où l’eau et le sel jouaient chrétiennement leur rôle et qui se rapprochait beaucoup du baptême; on trouvait aussi la communion, ou du moins l’usage du pain, du vin et de l’eau consacrés, mais on oubliait que ce rite avait existé chez les Grecs et les Égyptiens, et que la purification par l’eau appartient à un grand nombre de peuples. On n’hésita donc pas à déclarer que le christianisme avait été prêché dans les Indes occidentales, et que, si ces peuples en avaient oublié la tradition, c’était par un châtiment de Dieu, ce qui amenait naturellement à déclarer que la conquête et la destruction des tribus étaient une œuvre pie, une manifestation éclatante de la bonté divine, qui consentait enfin à tirer de l’obscurité ces peuples suffisamment châtiés.

L’histoire et la chronique s’égarent pendant plus de deux siècles au milieu de ces théories romanesques : moines et laïques, envoyés pour recueillir des renseignemens sur les besoins des Indiens et étudier les lois qui conviennent à ces colonies, écrivent des volumes sur ce sujet. Le plus étrange de ces chroniqueurs est sans contredit Montesinos. Il passa de longues années à parcourir le Pérou, plus d’un siècle après la conquête, et fut un des premiers à mettre en relief l’histoire très ancienne de cette partie de l’Amérique. « Considérant, dit-il, les choses du Pérou, après avoir pris l’avis des plus vieux Indiens et des personnes compétentes dans la géographie des provinces et la connaissance des langues, aussi bien que des écrits les plus accrédités, que j’ai étudiés avec le plus grand soin, parlant avec la modestie dont je ne saurais me départir