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Mais nous n’avons pas seulement les officiers, nous avons aussi les équipages. Depuis deux cents ans, le service obligatoire est appliqué à toute la population maritime du littoral sous le nom d’inscription maritime. Les mêmes règlemens, décrétés il y a deux cents ans par l’admirable prévoyance des grands fondateurs de notre marine, sont encore en vigueur aujourd’hui : aucune modification importante n’y a été apportée ; ils sont entrés dans les mœurs, et plus d’une nation étrangère s’est appliquée à les copier. En temps de guerre, toute la population maritime doit service à l’état, et sur un signe des fonctionnaires spéciaux qui tiennent les registres d’inscription, en quelques heures elle afflue dans nos ports de guerre; en temps de paix, chacun va à tour de rôle passer un certain temps sur les vaisseaux. En échange de cette double obligation, l’état prend soin de la famille du marin et du marin lui-même dans ses vieux jours. Tout est réglé avec une sagesse que le temps a consacrée. On avait pu craindre un moment que la décroissance de notice navigation marchande, causée par la réforme économique de 1860 et la concurrence des chemins de fer, n’amenât une réduction dangereuse dans le personnel de l’inscription maritime. De 1850 à 1876 en effet, les armemens de notre marine marchande au long, cours et au cabotage ont subi une diminution de 2,270 navires montés par 15,000 matelots; mais ces 15,000 matelots ont trouvé à s’employer à la petite pêche, dont la prospérité s’est accrue par le débouché que les chemins de fer ont assuré au poisson frais et salé. En somme, le chiffre de 110,000 hommes disponibles en cas de guerre pour le service de nos vaisseaux reste jusqu’ici invariable. Il est plus que suffisant pour pourvoir à l’armement de notre flotte tout entière. Sans doute les 15,000 hommes qui naviguaient en haute mer et qui s’embarquent aujourd’hui sur les bateaux de pêche, ont perdu quelque chose en qualité. Il y a une différence entre manier la voile d’un bateau de pêche et aller serrer le hunier d’un grand navire au cap Horn. Mais avec l’emploi de la vapeur le rôle du marin va en se rétrécissant, et l’essentiel est d’avoir à toute heure sous la main des hommes de bonne conduite, rompus à la vie de la mer et à la discipline. Nous trouvons cela dans nos pêcheurs, dans cette race sobre, honnête, laborieuse, qui peuple notre littoral. Sur la moindre barque de pêche il y a un chef, et dès son enfance le mousse apprend à côté de son père, de ses frères, l’impérieuse nécessité de la discipline. Pour le pêcheur, le travail est incessant et toujours dangereux. Pour lui, la terre promise, c’est l’église de son village qu’il aperçoit là-bas et où il sait pendant la tempête que sa femme prie pour lui; c’est la maison où elle l’attend et où, si la pêche est bonne, il va apporter le bien-être. Point de café, de journaux. la vie se divise pour lui entre deux devoirs entourés