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semblent au contraire s’être souvent préoccupés du sort des habitans de ce Nouveau-Monde devenus leurs sujets ; il suffira de rappeler que la mort d’Atahuallpa fit condamner Fernand Pizarre à vingt ans de prison, et celle de Tupac-Amaru, exécuté sur la place de Cuzco en 1579 par ordre de Francisco Toledo, valut à celui-ci une disgrâce qui le frappa tellement, qu’il mourut de honte et de douleur au sortir de l’audience où il fut expulsé de la présence du roi. En dehors de ces sévérités exceptionnelles qui frappaient des cruautés commises sur des personnes royales, des enquêtes, malheureusement sans résultat et des lois protectrices toujours inexécutées étaient souvent décrétées en faveur des Indiens. Las Casas nous révèle aujourd’hui que l’institution la plus funeste à ceux-ci, celle des repartimientos ou distributions de familles entre les conquérans, eut son origine dans une ordonnance de la reine Isabelle la Catholique, du 20 décembre 1503, rendue dans une tout autre intention.

L’usage s’était en effet introduit vers l’époque de la découverte de répartir entre tous les membres de l’expédition les Indiens existans dans les environs du lieu où l’on s’établissait; aucune loi ne permettait ces procédés, et l’on ne pouvait en solliciter aucune qui régularisât cet état de choses sans dissimuler une partie de la vérité. Un gouverneur de Cuba, le major Alcantará, fut celui qui obtint de la reine cette loi de 1503, rendue en réalité pour habituer les Indiens à la fréquentation des chrétiens, au travail en commun, à la culture des plantes européennes et enfin à la pratique de la religion catholique, et ordonnait que chaque Espagnol se chargeât de la direction d’un certain nombre de familles et les fît travailler de temps à autre, mais sous la condition de leur payer leur journée. Tel est le sens étroit de l’ordonnance, suffisamment expliqué par l’exposé des motifs qui la précède. C’est elle cependant qui servit de prétexte à tous les gouverneurs et chefs d’expéditions pour se distribuer entre eux les Indiens, les employer pour leur compte aux travaux les plus rudes, les emmener à de grandes distances, séparant les individus unis par les liens du sang ou du mariage, les traitant, en un mot, comme on fit plus tard des nègres de Guinée, sans se préoccuper en rien de leur inculquer aucun des principes de la foi catholique. Ces gens étaient du reste de mauvais apôtres, peu propres à faire chérir une religion de douceur qu’ils ne prêchaient pas d’exemple, et qui pour les Indiens semblait autoriser tous les crimes dont ils étaient victimes. C’est cette même loi qui, détournée de son vrai sens, entrava le progrès de la colonie en amenant une diminution rapide de la population; en son nom, on. séparait les maris de leurs femmes, on écrasait