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M. le ministre des finances. A Belleville, dans sa dernière apparition comme orateur populaire, M. Gambetta a montré certainement une raison courageuse, en s’élevant contre les moyens violens, contre les déclamations et les banalités révolutionnaires, en avouant tout haut une politique de modération et de transaction. Moyennant quelques formes et quelques tours de langage, il n’a pas craint d’appeler la commune une « insurrection criminelle, » et en définitive il s’est prononcé contre Tamnistie. Rien de mieux à coup sur ; mais voilà qu’aussitôt M. Gambetta s’est cru obligé de payer cet acte de courage d’une concession nouvelle. Il s’est hâté de prendre sous sa protection une proposition qui va être discutée par la chambre dans quelques jours, qui a pour objet de mettre fin à toute poursuite au sujet de faits relatifs à la commune ou même de changer les juridictions. Les chambres et le gouvernement en décideront ce qu’ils voudront ; qu’on nous permette de le dire, cette proposition soulève plus de questions délicates que l’amnistie elle-même. Sur quoi se fonde cette distinction entre ceux qui ont été poursuivis et ceux qui ont échappé à la justice ? De quel droit suspendre les lois de la prescription au sujet de certains faits parce que ces faits se rattachent à la commune ? Pourquoi des changemens de juridiction qui sont une sorte de disjonction après coup ? Ce n’est rien ou c’est une dernière satisfaction donnée aux partisans de la commune, et c’est ainsi que M. Gambetta détruit d’un seul coup l’effet de l’acte courageux qu’il paraissait accomplir.

Le mauvais génie des divisions intestines et des conspirations est-il donc la fatalité de certaines contrées ? Est-il donc si difficile de laisser respirer un pays qui, après des agitations prolongées, a la chance d’avoir retrouvé le repos dans un régime de légalité réparatrice ? L’Espagne a eu cette bonne fortune par la restauration de la monarchie constitutionnelle. Elle n’a point eu à s’imposer par la force, cette monarchie représentée par un jeune prince bien intentionné, elle n’a point eu de résistances intérieures à vaincre, elle s’est rétablie un jour tout naturellement, sans lutte, sans violence, elle n’a eu en quelque sorte qu’à reparaître pour être acceptée. La monarchie nouvelle à son avènement ne s’est point certes trouvée dans des conditions faciles. Elle a eu pour première mission d’en finir avec l’insurrection carliste qui avait eu le temps de s’organiser, de faire des provinces du nord une vaste et redoutable forteresse. Après la guerre carliste, elle a aujourd’hui encore à poursuivre un dernier effort contre l’insurrection de Cuba dont elle est obligée d’avoir raison. Et au milieu de tout cela a-t-elle profité d’un moment de surprise, de la lassitude du pays pour inaugurer un de ces règnes de réaction qui succèdent trop souvent aux périodes d’excès révolutionnaires ? Bien au contraire : le jeune roi Alphonse XII et son premier conseiller, son habile président du conseil, M. Canovas del Castillo, n’ont eu d’autre préoccupation que de se défendre des pressions et