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Ce sont là deux choses fort importantes pour la connaissance de la Russie et toutes deux fort originales. Liées assez intimement l’une à l’autre et tenues dans une mutuelle dépendance, la commune économique et la commune administrative sont cependant assez distinctes pour mériter d’être étudiées isolément. Nous nous occuperons aujourd’hui de la première, c’est-à-dire de la commune en qualité de propriétaire collective du sol. Pour l’Europe, le communisme agraire est peut-être le trait le plus digne de remarque comme le plus étrange de la Russie contemporaine. Dans un siècle de théories et de systèmes comme le nôtre, une telle étude offre aux peuples inquiets de leur état social et tourmentés d’un vague malaise, d’intéressantes et inappréciables leçons. Par malheur, notre éducation occidentale, nos habitudes nationales ou nos préjugés d’école, nous disposent peu à une intelligence calme et impartiale d’un tel régime de propriété. Devant le communisme, devant la communauté des biens, sous quelque forme atténuée qu’elle se présente, les esprits les plus sobres ont peine à se défendre de tout parti-pris. Plus les phénomènes sociaux ont de nouveauté ou de bizarrerie à nos yeux, et plus il importe de savoir considérer les faits en eux-mêmes, indépendamment de toute théorie et de toute idée préconçue ; plus le problème est grave et irritant, et plus nous devons nous garder des solutions aisées et hâtives, telles que nous en fournissent si souvent les notions toutes faites de notre éducation[1].


I.

La propriété collective en usage chez les paysans, qui pour nous semble le trait le plus saillant de la Russie, a été l’une des dernières choses que l’Europe occidentale y ait aperçues, l’une des dernières que les Russes eux-mêmes aient remarquées dans leur patrie. C’est un gentilhomme westphalien, le baron de Haxthausen, qui en a fait la découverte dans son voyage de 1842-1843 ; c’est lui au moins qui le premier l’a révélée à l’Europe dans ses célèbres études sur l’état intérieur de la Russie. L’Europe savante fut justement frappée de rencontrer dans l’empire autocratique du Nord une

  1. M. Émile de Laveleye, dans ses savantes études sur les formes primitives de la propriété, a fait ici même connaître les communautés de village de la Russie, en même temps que celles de Java, en même temps que l’ancienne mark germanique et les communautés de famille des Slaves du sud (voyez particulièrement la Revue du 1er  juillet 1872). Je n’aurai rien à reprendre ni rien à rectifier dans les tableaux de M. E. de Laveleye ; j’aurai seulement à les compléter en tirant parti de nombreux écrits russes publiés sur la matière, et spécialement de la grande enquête agricole de 1873, dont les résultats ont été rassemblés par le gouvernement en cinq volumes sous le titre de Doklad vysotch. outchregd. kommissii dlia izslédovaniia nynéchniago pologéniia selskago khoziaistva.