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partages des terres communes. En France, où ils occupent encore la onzième partie du sol national, les biens communaux sont autrement protégés contre toute velléité de vente ou de partage[1]. La loi laisse les communes libres de faire certaines acquisitions, elle leur interdit d’aliéner sans l’autorisation du pouvoir central. La jurisprudence du conseil d’état est même entièrement opposée à tout partage entre les habitans. En Angleterre, où elles jouissent d’une si large autonomie, les communes ne peuvent non plus aliéner leurs terres sans l’approbation du gouvernement[2]. Si l’on introduisait en France le régime actuellement en vigueur en Russie, si, pour se partager le domaine communal, il suffisait du vote des deux tiers des habitans, la plupart de nos biens communaux auraient vite disparu pour arrondir les champs des uns et alimenter les dépenses des autres. Comment en Russie une législation qui étaie aussi peu la propriété commune ne l’a-t-elle pas encore laissé s’écrouler et se réduire en champs individuels ?

Jusqu’ici la propriété collective a d’ordinaire gardé la majorité légale dans les assemblées des paysans; elle n’y a point toujours et partout réussi. On a dit souvent qu’il y avait des exemples de terres communes partagées jadis entre les anciens serfs par leurs propriétaires et depuis remises en commun par les paysans émancipés, tandis qu’on ne connaissait encore aucun exemple d’une commune rurale ayant librement abandonné la tenure collective du sol. C’est là une erreur. Les partages définitifs sont rares, exceptionnels, il y en a cependant ; l’enquête agricole en mentionne dans plusieurs gouvernemens de la Grande-Russie. Dans quelques districts même les cas de division sont relativement nombreux, et l’on pourrait voir là chez les paysans l’indice d’un revirement d’opinion en faveur de la propriété personnelle. D’après un propriétaire du gouvernement de Pskof, une des principales raisons qui amènent à un partage définitif, c’est l’augmentation de la population qui, en restreignant la part de chacun à chaque nouveau partage, fait tomber les lots au-dessous des allocations fixées par l’acte d’émancipation et déjà elles-mêmes insuffisantes. Or il y a là pour les communautés de paysans

  1. Environ 5 millions d’hectares (4,718,000), l’Alsace comprise. La propriété commune est très inégalement répartie en France. Nulle en certaines régions, elle est importante en d’autres. La commune où j’écris ces pages, par exemple, Rouvres-sur-Aube (Haute-Marne), possède 1,100 hectares de bois et une centaine d’hectares de pâturage, le tout pour une population qui dépasse à peine 400 âmes. C’est beaucoup pour un pays qui compte 70 habitans par 100 hectares. Ces communaux semblent contribuer à entretenir l’aisance dans les régions de l’est qui en sont encore pourvues; peut-être sont-ils aussi pour quelque chose dans le bon état des écoles et la diffusion de l’instruction, qui dans la Haute-Marne en particulier est universelle.
  2. Sur la législation française et anglaise à cet égard, voyez l’ouvrage de M. Paul Leroy-Beaulieu, de l’Administration locale en France et en Angleterre, p. 284-287.