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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/288

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n’est contre-balancé que par le goût national pour le négoce. Tous les inconvéniens qui dans l’avenir semblent devoir pousser à la dissolution de la communauté, poids de la solidarité communale, insuffisance des allocations, poussent déjà aujourd’hui à l’acquisition de la propriété individuelle. Les serfs émancipés achètent de la terre, mais c’est à leurs anciens seigneurs, en dehors des terres du mir. Cet appétit du paysan pour la propriété est remarqué de tous depuis l’émancipation. Les marchands achètent aussi beaucoup d’anciennes terres seigneuriales, mais d’ordinaire c’est pour les revendre par parcelles aux villageois. La demande des paysans est telle, que ce système de morcellement est d’ordinaire très rémunérateur, et qu’il y a un écart considérable entre le prix des terres vendues en bloc et le prix des terres morcelées. Dans le seul gouvernement de Koursk, les paysans des communes ont en une année acquis pour 2 millions de roubles de terre. Dans le district de Lioubine, du gouvernement de Jaroslaf, où il n’y avait avant l’émancipation qu’une vingtaine de propriétaires étrangers à la noblesse, on en compte aujourd’hui plus de 700, pour la plupart paysans[1]. Le moujik achète d’ordinaire seul; parfois cependant plusieurs se réunissent pour faire une acquisition. De grands biens sont ainsi tombés en possession des paysans ; quelquefois ils gardent la terre en propriété indivise ; le plus souvent ils se la partagent. De cette façon, beaucoup de moujiks sont en même temps usufruitiers d’un lot de terre communale, et seuls et uniques propriétaires d’un champ acheté de leurs deniers. Les deux modes de propriété se réunissent souvent ainsi dans le même homme.

Toute la terre russe est loin en effet d’être la propriété des communautés de village. A côté des biens communaux, il y a les biens individuels des anciens seigneurs, il y a des domaines souvent très vastes et parfois démesurés, souvent mal cultivés, parfois même encore incultes, et que leurs détenteurs ne demandent qu’à aliéner ou à diminuer[2]. Pour devenir propriétaire individuel, le moujik

  1. Voyez le prince Vasiltchîkof, Melkii zemelnii kredit v Rossii.
  2. Je ne crois pas qu’il y ait (aujourd’hui de statistique complète des terres des communes russes. Selon le prince Vasiltchikof (ouvrage cité plus haut), 65 millions de dessiatines (70 millions d’hectares) seraient demeurées entre les mains des anciens propriétaires, réduits au faible chiffre de 71,000 individus. Il y a quelques années, le même écrivain attribuait encore à cette classe 70 millions de dessiatines; la différence doit être récemment passée aux mains des paysans. L’état ou la couronne possédait environ 113 millions de dessiatines, les petits cultivateurs des diverses classes 4 millions 1/2, les paysans près de 123 millions. Il y a une douzaine d’années, le même publiciste n’attribuait à ces derniers que 109 millions de dessiatines. Il s’en faut que toutes ces terres de paysans soient des terres communes. Le régime de la communauté étant propre à la Grande-Russie, et les acquisitions récentes des paysans étant personnelles, l’étendue des terres communes ne doit pas, croyons-nous, dépasser 80 millions d’hectares, c’est-à-dire le cinquième ou le sixième du sol russe, et peut-être reste-t-elle fort au-dessous de ce chiffre. Il est à remarquer du reste que la relation des deux modes de propriété varie beaucoup suivant les régions. En général, dans les gouvernemens les plus fertiles et les plus peuplés, la plus grande partie de la terre appartient déjà aux paysans.