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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/321

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oncle est garde forestier dans la forêt de Beaulieu, et elle vient de temps en temps faire un tour dans le pays... Ah ! elle a une bien jolie voix, la Franceline, n’est-ce pas, Lélette?

— Franceline ! — Tristan a failli laisser tomber la précieuse faïence, tant il était ému, et j’ai été obligé de la lui enlever des mains.


17 septembre. — Nous avions résolu de ne pas manquer le pèlerinage qui aura lieu lundi, en pleine forêt de Beaulieu, à l’ermitage de Saint-Rouin, et nous nous sommes décidés à aller coucher à Futeau pour être tout portés le lendemain. Cette portion de l’Argonne est plus intéressante encore que celle qui descend vers La Chalade. Les prés y sont plus accidentés et plus verts; les lisières qui les bordent, plus riches en beaux arbres de toute essence, A mesure qu’on avance, le regard se repose sur des hameaux blottis aux marges de la forêt. Ici, les Senades avec leur vieille verrerie; là, la Contrôlerie avec ses chaumières basses et lézardées. Entre ces deux hameaux, la vallée a l’aspect à la fois intime et solennel d’un parc centenaire : les pelouses mamelonnées, coupées par des bouquets de frênes, descendent mollement vers la Biesme, dont la rive opposée est ombragée par de magnifiques arbres de lisières : chênes, hêtres et charmes, étendant royalement vers la prairie leurs ramures majestueuses. Entre leurs fûts grisâtres on aperçoit le pelage fauve des troupeaux de vaches qui paissent sous bois, et sur les talus de la rivière s’épanouit une riche végétation de fleurs automnales.

Le temps s’était remis au beau; l’air était tiède, le soleil se montrait par intervalles et nous envoyait des flambées de rayons; la terre détrempée par la pluie fleurait bon, comme sent bon le pain chaud sortant du four. Tristan, chez qui les faïences du charron avaient ravivé le désir de retrouver sa chanson et de revoir Franceline, était mélancolique et nerveux, avec des intermittences de fièvre. Comme toujours en pareil cas, son effervescence se traduisait en effusions et en dithyrambes. A la vue des fleurs d’automne qui foisonnaient sur les talus, il est devenu tout à fait lyrique et s’est mis à apostropher les buissons : — Vous êtes heureuses, vous, les fleurs! s’est-il écrié en caressant de ses longs bras les tiges épanouies, qu’avez-vous à craindre? L’humidité d’une ondée ou le pied des troupeaux qui passent?.. Le lendemain vous repoussez de plus belle. Jamais vous n’avez inspiré un sentiment de haine ou de douleur. Qui vous regarde sourit, et qui vous respire est charmé. Vous vous perpétuez d’année en année par vos graines; mais nous?.. nos plus doux soleils sont inquiets et nos jours les plus purs ont des nuages menaçans. Si loin que nous voyions, nous sommes tristes de