Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autour de l’autel de feuillage où l’on célèbre la grand’messe en plein air. On en est déjà au Kyrie quand nous pénétrons dans l’enceinte réservée aux pèlerins. Notre apparition ne laisse pas de donner de notables distractions à l’assistance. Nos sacs de touristes, la boîte à couleurs et surtout le costume excentrique de Tristan causent une surprise mêlée d’inquiétude.

Nous demeurons impassibles et, mettant chapeau bas, nous nous accoudons à la balustrade de la piscine. Il y a tout au plus deux cents personnes autour de l’autel. Le gros de l’assemblée se compose de femmes et d’enfans; une vingtaine de prêtres et de séminaristes en vacances sont agenouillés çà et là, et leurs soutanes jettent des notes noires au milieu des robes voyantes des femmes. Quelques privilégiés ont des sièges réservés et écoutent dévotement la messe, assis à l’aise dans des fauteuils; mais la majeure partie des assistans s’installe comme elle peut sur l’herbe des pelouses ou sur les bancs de la piscine. La matinée est fraîche, et une dévote a apporté une chaufferette sur laquelle ses pieds sont pieusement posés; deux dames plus frileuses encore sont restées dans leur voiture et lisent leur paroissien en se serrant l’une contre l’autre sur les coussins. Le jeune abbé, frisé et content de lui, que nous avons remarqué sur la route, se tient près du marche-pied avec son élève. C’est un beau brin d’abbé, brun, bien découplé, au menton rasé de frais et bleuâtre, aux façons précieuses et apprêtées; ses gros yeux noirs semblent pleins d’admiration pour sa propre personne, et ses lèvres rouges ont l’air de se murmurer à elles-mêmes des complimens. Il se penche respectueusement du côté des deux dames et nous signale à leur attention avec un petit rire sec.

Cependant on a lu l’Évangile, et un certain remue-ménage annonce qu’il va se passer quelque chose d’important. En effet, deux prêtres escortent jusqu’à l’estrade de l’autel un évêque à cheveux gris, à la tête bienveillante et fine, qui bénit l’assemblée et commence en style fleuri le panégyrique de saint Rouin. Le soleil, qui s’est élevé au-dessus des arbres, se met de la fête et darde ses rayons obliques sur l’autel. L’eau du réservoir chatoie, les chandeliers d’argent jettent des éclairs, les chappes des chantres, les calottes rouges des enfans de chœur, les toilettes bariolées des dévotes s’épanouissent dans la verdure comme des fleurs dans un pré, et le prélat lui-même, avec sa robe et son camail de cérémonie, ressemble à un magnifique iris violet. Ce charmant tapage de lumière et de couleurs fait la joie du Primitif, mais non point celle de monseigneur. Ce traître de soleil qui lui vient droit dans les yeux gêne fort son éloquence. En vain il se sert de son bonnet