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ne soit souvent accompagnée d’hallucinations de l’ouïe : il est permis de penser que ces hallucinations, au lieu d’être simplement l’effet de la passion pervertie, en sont la cause ou tout au moins se produisent en même temps qu’elle. — La manie blasphématoire s’expliquerait bien aussi par une perturbation intellectuelle faisant naître dans l’esprit du malade l’idée qu’il est damné, qu’il est devenu la proie du diable, et que, par suite, il faut qu’il blasphème comme Satan. Il nous semble, en un mot, plus naturel d’admettre que, sous l’influence d’un même état pathologique du cerveau, l’intelligence et les affections sont simultanément altérées.

La troisième forme de folie instinctive, appelée par Esquirol lésion de la volonté, diffère de la précédente en ce que l’impulsion perverse de la passion, tout en étant soudaine et irrésistible, n’abolit pas le sens moral qui proteste avec horreur contre l’acte honteux ou criminel auquel le malade est entraîné. Une lutte terrible s’engage dans l’âme de l’infortuné : il a conscience du mal qu’il va faire et de l’inutilité de la résistance contre une impulsion qu’il ne peut maîtriser. S’il est sous l’empire de la manie homicide, il supplie qu’on l’enferme, qu’on le garrotte, qu’on le mette dans l’impossibilité de céder à l’affreux penchant. « Ma mère, dit un jeune homme de seize ans, cité par M. Calmeil, vous êtes la meilleure des mères, et je vous aime de toute mon âme. Cependant depuis quelque temps une idée incessante me pousse à vous tuer. Empêchez que, vaincu à la fin, un si grand malheur ne s’accomplisse. Permettez-moi de m’engager. » Revenu du régiment, ce n’est plus sa mère qu’il songe à tuer, c’est sa belle-sœur. « Approche, dit-il à son frère, n’hésite point. Je suis plus dangereux qu’une bête féroce. Prends une corde solide, attache-moi et va prévenir M. Calmeil. » Admis dans un asile d’aliénés, il supplie le directeur de ne pas consentir à ce qu’il en sorte jamais. « Par momens peut-être je feindrai d’être guéri ; ne me croyez jamais ; je ne dois plus sortir sous aucun prétexte. Quand je solliciterai mon élargissement, redoublez de surveillance ; je n’userais de cette liberté que pour commettre un crime qui me fait horreur. » — On a souvent rappelé l’exemple de cette servante qui vint un jour demander en grâce à sa maîtresse la permission de quitter la maison. Sa maîtresse, qui n’avait jamais eu à se plaindre de son service, l’interrogea sur le motif d’une résolution si subite : elle apprend que toutes les fois que la malheureuse domestique déshabille l’enfant confié à sa garde et qu’elle est frappée de la blancheur de ses chairs, elle éprouve un désir presque irrésistible de l’éventrer. Elle craint de succomber à la tentation et préfère s’éloigner.

Ce genre d’aliénation, caractérisé par le remords, se manifeste