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les succès de notre travail national. De part et d’autre, on s’est fort peu enquis des causes vraies de la crise allemande, et l’on s’est contenté de la plus apparente. Les 5 milliards, où les Allemands avaient vu d’abord une inépuisable source de richesses, furent par eux accusés de tout le mal ; l’explication, qui n’était pas faite pour nous déplaire, fut sans peine acceptée chez nous, si bien qu’on aurait cru, il y a deux ans, que nos vainqueurs nous auraient proposé volontiers la restitution de l’indemnité, s’ils n’avaient craint de nous voir refuser ces milliards empoisonnés. Maintenant que la crise vient de finir en Allemagne, en laissant derrière elle, il est vrai, de tristes souvenirs, on en peut mieux découvrir les causes et plus exactement mesurer l’étendue. Il suffit d’en conter l’histoire, simplement et comme si l’on parlait d’un peuple qui nous fût étranger.


I.

Le mal dont l’Allemagne a souffert et souffre encore n’est point si inconnu qu’il y faille chercher des causes extraordinaires : il a sévi en France, en Angleterre, en Amérique ; il a mis l’Autriche à deux doigts de sa perte. Ce mal naît naturellement des conditions économiques où vivent les sociétés contemporaines. La multiplicité des communications rapides et la pratique du libre échange ont effacé les frontières des états et lié les uns aux autres les divers pays du monde plus étroitement que n’étaient jadis les provinces d’un même état. Le marché s’étant ainsi élargi, la production s’est extraordinairement accrue. On a vu alors des merveilles : la richesse naissant où était l’aisance, l’aisance où était la misère, mais on a vu presque aussitôt après des folies. Dans l’ardeur du travail et dans la joie du succès, industriels, commerçans, ouvriers, en sont venus à tenir pour radotages quelques maximes de bon sens, et pour surannées des lois éternelles. Quoi de plus simple que cette loi : « la production doit se régler sur la consommation ? » et pourtant on l’a partout plus ou moins oubliée. Il est vrai qu’il est aujourd’hui difficile, sinon impossible, de connaître la limite où la production dépasse les besoins. Autrefois, quand le commerce se faisait sur un marché connu et délimité, quand l’argent était quasi le seul moyen d’échange et qu’il était beaucoup plus rare qu’aujourd’hui, producteurs et consommateurs se connaissaient pour ainsi dire et se consultaient les uns les autres : le producteur aujourd’hui croit avoir l’infini devant lui, et la faculté de se procurer du crédit offre à ses entreprises un champ illimité. Tous les moyens d’outre-passer les limites de la raison et de la prudence lui sont offerts : comment n’en userait-il pas ?