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ivoires, les drogues et les parfums. Alors le travail des mines était en pleine activité sur le revers oriental des Alpes, les villes poussaient dans la vallée du Danube, et toutes les industries étaient prospères… » Quand Byzance tomba aux mains des Turcs, c’est l’Autriche qui, dans un combat deux fois séculaire, arrêta ces Asiatiques, comme elle avait arrêté auparavant les Huns et les Avares. Il est vrai que, dans la lutte, le pays danubien a cruellement souffert, et qu’il n’a point retrouvé depuis la prospérité d’autrefois ; mais l’histoire se recommence souvent, et M. Richter cite le vieil adage : « Ce qui a été sera. » Il suffit que l’Allemagne et l’Autriche fassent régner l’ordre et la paix dans les provinces du Bas-Danube, que les chemins autrichiens soient reliés aux chemins turcs, que le réseau de l’Asie-Mineure soit construit et rejoigne le chemin de l’Euphrate. Alors se dessinera la grande route dont Hambourg, Vienne, Constantinople, Scutari, Diarbékir, Bombay, seront les stations principales. L’Angleterre ne saurait refuser longtemps à cette grande entreprise le concours de ses capitaux, et, renouant ses relations anciennes avec la Belgique, la Hollande, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, elle annulera d’un coup les avantages que donne à la Russie le progrès de ses armes dans l’Asie centrale.

Ces projets ne sont point irréalisables, dit l’écrivain ; on en a mené de plus difficiles à bonne fin. Il a raison ; mais peu importe qu’il soit ou non égaré par l’ardeur de son patriotisme austro-allemand ! Il ne s’agit pas de savoir si nous avons à redouter tout ce qu’espère cet ennemi, car M. Richter parle de nous en ennemi : il faut, nous aussi, reprendre l’habitude, si difficile à garder dans un pays périodiquement bouleversé, de regarder loin dans l’avenir. Il y a, entre les deux peuples qui habitent les deux rives du Rhin, une rivalité nécessaire, qui ne finira pas. La crise économique qu’on vient de raconter n’est qu’un épisode de la lutte pacifique entre les travailleurs des deux pays. Mesurons donc nos efforts à la durée de la peine. Les succès d’aujourd’hui seraient payés bien cher, s’ils nous empêchaient de voir que le combat reprendra demain, pour durer toujours.


ERNEST LAVISSE.