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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/413

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engagé dans une phase obscure, où il avait à marcher l’œil fixé tout à la fois et incessamment sur l’Autriche qui pouvait profiter de la circonstance, sur l’Europe qui grondait, sur Naples qui ressentait la commotion, — où il avait encore son représentant, — sur Garibaldi, qui pouvait créer de singuliers embarras. Les difficultés étaient immenses, d’autant plus graves que même autour de lui Cavour avait à compter avec ceux qui l’accusaient de ne pas faire assez et avec ceux qui s’inquiétaient de sa témérité, tout en disant, comme d’Azeglio, que « seul il pouvait sauver la banque. » La question était avant tout dans la diplomatie et, au camp de l’audacieux chef des « Mille. »

Au premier moment en effet, dès le lendemain du départ de Garibaldi et du débarquement à Marsala, un orage de protestations s’était abattu sur Turin. L’Autriche saisissait aussitôt l’occasion de renouveler à Paris et à Londres le procès de la Sardaigne, qu’elle représentait plus que jamais comme la perturbatrice de l’Europe et qu’elle ne demandait pas mieux que de remettre à la raison. À Berlin, on ne se bornait pas à protester, on ne parlait de rien moins que de faire revivre l’alliance des cours du Nord pour protéger le droit des gens contre « l’ambition piémontaise. » À Saint-Pétersbourg, le prince Gortschakof disait avec vivacité au ministre sarde : « Si le cabinet de Turin est débordé par la révolution au point d’être entraîné à méconnaître ses devoirs internationaux, les gouvernemens européens doivent prendre cet état de choses en considération et régler là-dessus leurs relations avec le Piémont. Si la position géographique de la Russie le permettait, l’empereur interviendrait surement par les armes pour défendre les Bourbons de Naples, sans s’arrêter à la non-intervention proclamée par les puissances occidentales. « La France protestait de son côté, et l’Angleterre elle-même s’inquiétait, moins, il est vrai, des prouesses de Garibaldi, de l’insurrection die Sicile, que de tout ce qui pouvait en résulter. Quant aux gouvernemens de Naples et de Rome, ils remplissaient les cours européennes du bruit de leurs plaintes et de leurs récriminations. Cavour faisait bonne contenance sous cette tempête de protestations et de menaces.

Il avait commencé par s’assurer la liberté du silence dans le parlement en déclinant toute interpellation sur les affaires du midi. Avec la diplomatie, il ne pouvait pas se taire ; il se sauvait par des subterfuges, il gagnait du temps par des désaveux qui ne désavouaient rien. À ceux qui lui reprochaient ses complaisances révolutionnaires !, il répondait en disant à son ami sir James Hudson: : « De quel droit accuserait-on la Sardaigne de n’avoir point empêché le débarquement de l’aventurier audacieux en Sicile quand