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« L’empereur est absent, écrivait le marquis Antonini, et le ministre des affaires étrangères (Thouvenel) n’est pas bien pour nous... Il m’a dit qu’on ne pouvait rien pour le gouvernement royal. Il paraît que ce gouvernement-ci croit une révolution inévitable, même à Naples... » Le cabinet des Tuileries déclinait toute responsabilité, il ne pouvait, dans tous les cas, rien faire sans se mettre d’accord avec ses alliés !

Lorsque enfin le roi de Naples, poussé à bout, réduit à tout subir, — ministère libéral, constitution, alliance avec le Piémont, — sollicitait la médiation de la France, Napoléon III disait aux envoyés napolitains ; « Il est trop tard; il y a un mois encore, tout aurait pu être prévenu, aujourd’hui il est bien tard, La France est dans une condition très difficile, on n’arrête pas la révolution avec des paroles... Les Italiens sont avisés, ils comprennent à merveille qu’après avoir donné le sang de mes soldats pour l’indépendance de leur pays, jamais je ne ferai tirer le canon contre cette indépendance. C’est cette conviction qui les a conduits à l’annexion de la Toscane contre mes intérêts et qui les pousse aujourd’hui sur Naples. Pour sauver le roi, je ne suffis pas, il faut que je sois aidé par mes alliés... — Comment, disaient les envoyés napolitains, la France peut-elle consentir à la réalisation d’une entreprise si contraire à ses intérêts, si avantageuse pour l’Angleterre, si radicalement révolutionnaire? — Tout cela peut être vrai, disait l’empereur, mais nous sommes sur le terrain des faits, la force de l’opinion est irrésistible;., l’idée nationale en Italie doit triompher d’une manière ou d’une autre... » Et le dernier mot était : « Agissez vite, fournissez les moyens de vous soutenir, c’est à Turin qu’il faut aller. Ce n’est pas à moi, c’est au roi Victor-Emmanuel que vous devez vous adresser. La Sardaigne seule peut arrêter le cours de la révolution; je vous appuierai à Turin... »

A Turin, Cavour était trop habile pour ne pas donner à l’empereur et à l’Europe la satisfaction d’une apparence de négociation avec Naples. Il sentait la nécessité de ménager des puissances qui, sans être d’accord entre elles, il est vrai, ne cessaient de l’assaillir de réclamations et de conseils. Un jour même, pour les satisfaire et plus encore pour se dégager, il laissait le roi tenter une démarche directe auprès de Garibaldi, essayer d’arrêter le « héros » dans sa course ou tout au moins de le détourner de porter la guerre sur le continent. En réalité, Cavour mettait une dextérité extrême à rouvrir des portes qu’il avait l’air de fermer. Il éludait, louvoyant avec les envoyés napolitains qu’on lui expédiait, se faisant un appui de l’Angleterre auprès de la France, de la France et de l’Angleterre auprès de la Russie et de la Prusse, et lorsqu’il se sentait trop