Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce conflit de politiques, de procédés ou de passions. Cavour, fut, même au milieu des mille détours où il semblait se perdre, suivait son chemin. Il restait le représentant d’une politique de dix ans, sanctionnée par le succès : politique habile, faisant du Piémont le noyau solide de toutes tes assimilations, et de la monarchie l’instrument de toutes les transformations nationales, libérales, en même temps que la garantie de tous les intérêts conservateurs, — sachant aller en avant, sachant aussi mêler la prudence à la hardiesse, la diplomatie à la guerre, tenant compte de la nécessité des alliances, de la situation de l’Europe et surtout de la France. Qu’avait-on à lui opposer? Une politique d’aventure et de défi qui prétendait déplacer le centre de l’action, ajourner la réunion du midi au nord, prolonger l’état révolutionnaire en se servant du nom de Victor-Emmanuel, faire de Naples la première étape d’une série d’entreprises contre Rome, gardée par la France, aussi bien que contre le quadrilatère, gardé par l’Autriche, contre la paix de l’Europe tout entière. Tant que la révolution, triomphante en Sicile, n’avait pas franchi le détroit, le choc des deux politiques pouvait encore être évité ou n’avoir pas une importance décisive; le problème restait circonscrit dans une île de la Méditerranée. A mesure que les événemens se déroulaient cependant, le jour où Garibaldi, arrivant sur le continent, n’ayant plus devant lui qu’une royauté et une armée en fuite, entrait à Naples au milieu de l’ivresse populaire et devenait d’un seul coup dictateur des « Deux-Siciles, » maître d’un royaume, ce jour-là tout changeait étrangement. La question se rapprochait et se précisait ; elle était d’autant plus grave que Garibaldi, dans sa confiance de victorieux, semblait plus que jamais disposé à ne rien écouter, et que par le fait maintenant rien ne semblait pouvoir l’arrêter.

Entraîné par son propre instinct, poussé par son entourage, vivant dans une atmosphère excitante de guerre et de révolution, s’inquiétant fort peu de l’anarchie qu’il laissait se déchaîner sous son nom à Naples et dans les provinces, Garibaldi ressemblait à un halluciné impatient de s’élancer. Il ne dissimulait ni ses projets audacieux ni son animosité contre Cavour, et à ce moment même, dans une conversation avec le ministre anglais, sir Henry Elliot, qui était allé pour le modérer, pour le détourner au nom de l’Angleterre de pousser plus loin ses entreprises, il se dévoilait tout entier. « Je vous parlerai, disait-il à sir Henry Elliot, en toute franchise, sans vous rien cacher de mes desseins, qui sont justes et clairs. J’entends aller jusqu’à Rome. Quand nous serons maîtres de cette ville, j’offrirai la couronne de l’Italie unie à Victor-Emmanuel. Ce sera à lui de délivrer Venise; dans cette guerre, je ne serai plus que son lieutenant... Dans les conditions présentes de l’Italie, le