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Quelle est la cause de cette révolution qui s’opère dans l’art du brasseur? Comment se décide-t-on à remplacer un procédé simple et rapide par un autre qui à première vue présente si peu d’avantages et tant d’inconvéniens ? Est-ce dans la meilleure qualité des bières basses qu’il faut chercher la raison de cet engouement général? Il est vrai que les amateurs les déclarent très supérieures aux bières hautes; mais cette préférence accordée aux bières basses, qui est un peu affaire d’habitude, ne suffit pas à expliquer l’abandon graduel de l’ancien mode de fabrication. La vraie raison est dans les facilités commerciales que procure le procédé fondé sur l’emploi du froid.

En effet, la bière basse est moins altérable, ou plutôt, pour parler plus exactement, elle est moins exposée à s’altérer, grâce à la basse température à laquelle elle est faite et conservée. Dès lors on peut en fabriquer des provisions pour l’été, tandis que la bière obtenue par fermentation haute, qui doit être consommée promptement, ne peut être fabriquée qu’au fur et à mesure de la demande, laquelle varie avec les saisons. Or l’industrie s’accommode difficilement de ces fluctuations, elle a besoin de plus de régularité et de stabilité dans la production comme dans l’écoulement de ses marchandises. Voilà pourquoi l’emploi des basses températures, qui l’affranchit de l’influence des saisons, constitue un progrès au point de vue commercial.

Comment le froid empêche-t-il la bière de s’altérer? En paralysant les fermens de maladie. Les fermens ! voilà en effet ce qui domine la question. La bière, comme le vin, naît d’une fermentation; mais dans toutes les phases de leur existence, ces deux « nobles liqueurs » ont à se défendre contre d’invisibles ennemis, contre l’influence occulte de ces germes répandus dans l’atmosphère qui peuvent y développer toute une série de maladies. C’est M. Pasteur qui a mis en lumière le rôle dévolu à ces êtres dans les fermentations. Les recherches de l’illustre chimiste ne sont pas seulement d’une immense portée pour la philosophie de la nature; elles l’ont conduit à des conclusions pratiques d’une incontestable importance pour la fabrication du vin, du vinaigre, de la bière, et en général de toutes les boissons fermentées : enfin elles éclairent d’un jour tout nouveau l’étiologie des maladies épidémiques. Dans le livre qu’il vient de publier sur La Bière, M. Pasteur a exposé en passant l’état de la question et répondu aux attaques qu’avait soulevées sa théorie des fermens. Nous essaierons de donner une idée de cette ingénieuse théorie et des faits sur lesquels elle repose; mais auparavant revenons un moment à la bière.

« Les soins qu’on apporte dans l’élevage du vin, les pratiques ordinaires de la vinification, — ouillage, méchage, soutirages répétés,