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incompréhensible : « On me mande que votre intendant et votre premier président... vous avez un fort honnête homme, n’est-il pas des amis de M. de Grignan ? » Le nouveau manuscrit donne la leçon plus claire : « On me mande que votre intendant est votre premier président ; vous aurez un fort honnête homme, » et le nouvel éditeur nous apprend qu’en effet l’intendant de Provence venait d’être nommé premier président du parlement d’Aix. Le renseignement a sa valeur historique, et c’est fort bien fait d’avoir éclairci l’obscurité. Le malheur est qu’on ne saurait se flatter de pouvoir les éclaircir toutes. Il manquera toujours à la parfaite intelligence des détails du texte de Mme de Sévigné la connaissance du texte de Mme de Grignan. C’est un échange qu’une correspondance, et, pour bien comprendre ce que Mme de Sévigné donnait, il faudrait savoir aussi ce qu’elle recevait. Un lecteur curieux de l’expérience n’aurait qu’à lire les lettres à Bussy sans tenir compte aucun des lettres de Bussy, pour juger ce qu’y perd la clarté. D’ailleurs, il faut bien l’avouer, le texte de Mme de Sévigné restera longtemps encore et toujours peut-être un des plus malaisés qu’il y ait à fixer, et des plus délicats. Les autographes, l’édition de 1725, l’édition de 1726, l’édition de 1734, l’édition de 1754, la copie de Bussy, le Grosbois, le nouveau manuscrit, que de sources et combien diverses, même sans parler de celles que nous omettons certainement I Qu’il y ait une science de classer les manuscrits et vingt moyens après cela de déterminer la valeur d’une édition, nous n’aurons pas l’impertinence de le mettre en question, mais on voit le danger, car enfin l’éditeur, entre tant de variantes et de leçons, ne conserve-t-il pas une certaine liberté de choix et de trop nombreuses facilités pour substituer le texte tel qu’il le conçoit au texte tel qu’il devrait être ? On tremble pour Mme de Sévigné quand on songe qu’une douzaine de manuscrits et d’éditions ont pu quelquefois concourir, tantôt pour un alinéa, tantôt pour une ligne, à la restitution d’une seule lettre! Si malgré cela, malgré tant de raisons de se tenir en garde, la confiance néanmoins s’impose, n’est-ce pas le plus bel hommage que la critique puisse rendre à la sagacité des éditeurs?

Or plus on examine et plus cette confiance s’impose, mais avec quelle autorité, si l’on s’élève au-dessus des discussions de détail et que, prenant les choses d’un peu haut, enveloppant toute la correspondance d’un seul regard, on compare Mme de Sévigné telle que le chevalier de Perrin l’avait faite à Mme de Sévigné telle que nous la voilà dès à présent rendue !

Tout ce qui survivait encore en elle de la précieuse, le langage trop poli des ruelles, et si j’ose dire ce léger parfum d’hôtel de Rambouillet qu’elle semblait parfois laisser après elle, ces grâces factices et cet air pincé que lui avait prêté son infidèle éditeur, cette étroite observation des règles, le souci de Vaugelas et cette extrême décence grammaticale