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des Mémoires de M. Guizot. Ce savant exposé nous suffit. Il est vrai que l’illustre écrivain n’est pas désintéressé dans la question. Son récit, composé avec beaucoup d’art, ne saurait être lu sans quelque défiance. L’auteur a dissimulé habilement certains aspects du débat, et au contraire il a fort insisté, comme c’était son droit, sur la réparation des fautes commises. Rien de plus juste ; la politique si ferme, si digne, à l’aide de laquelle a été préparée la convention du 13 juillet 1841, la politique qui a replacé la France dans le concert européen sans sacrifier le pacha d’Égypte, fait grand honneur, en définitive, et à M. Guizot, qui l’a nettement conçue, et à M. de Bourqueney, ambassadeur de France à Londres, qui l’a conduite à bonne fin avec autant de loyauté que de précision. Il faut bien reconnaître pourtant que M. Guizot aurait dû comprendre son rôle tout autrement qu’il ne l’a fait, lorsque, sous le ministère du 1er  mars 1840, il représentait à Londres la politique de M. Thiers. De deux choses l’une : ou bien, s’il n’approuvait pas les idées de son chef, il devait se retirer, ou bien, s’il restait à son poste, il devait se montrer plus vigilant, plus habile, et ne pas laisser éclater comme une bombe ce traité du 15 juillet, qui a été sur le point de causer un incendie universel. Quand M. Guizot, résumant les avantages de la convention signée un an plus tard, s’exprime en ces termes : « Par ces résultats, l’échec de la France, fruit de son erreur dans cette question, était limité et arrêté ; elle avait repris sa position en Europe et assuré en Égypte celle de son client ; on avait fait et obtenu en finissant ce qu’on aurait dû faille et pu obtenir en commençant[1]. » À qui donc s’applique ce reproche ? À M. Thiers tout seul dans la pensée de l’auteur, — en bonne justice à M. Guizot lui-même et à M. Guizot plus qu’à personne. Bossuet a parlé quelque part de « cet aveu d’avoir failli qui coûte tant à notre orgueil ; » c’est là une réflexion de moraliste chrétien qui relève d’une doctrine hautement et saintement exigeante. M. Guizot, persuadé que la politique, comme il l’a dit, n’est pas une œuvre de saints, craignait-il, en reconnaissant ses fautes, d’affaiblir l’autorité morale de sa personne et de faire tort par là aux idées qu’il représentait dans le monde ? C’est bien possible. Le chrétien chez lui était sans doute plus humble que l’homme d’état. La voix du for intérieur rectifiait les déclarations hautaines de la parole publique. À la bonne heure ! Voilà une façon d’expliquer pourquoi l’aveu d’avoir failli, suivant l’expression de Bossuet, a toujours tant coûté à notre grand et vénéré contemporain. Eh bien, n’importe ; quoiqu’il faille lire avec précaution cette partie des Mémoires de M. Guizot, c’est encore

  1. Guizot, Mémoires, t. VI, p. 128.