moins par la France et donnât quelque part un rendez-vous à la famille royale. Demande singulière, dira-t-on, au moment où le roi de Prusse, sur le conseil de son ministre, s’efforçait d’enlever à son voyage tout caractère politique particulier. L’idée n’est singulière qu’en apparence ; au fond, elle montre que l’habile diplomate avait deviné chez le roi de Prusse de vives défiances à l’égard de notre pays, et qu’en toute occasion il s’appliquait à les dissiper. La demande, dût-elle ne pas être accueillie, était une démanche gracieuse. Le roi de Prusse, comme on devait s’y attendre, déclina l’invitation de l’ambassadeur français ; « il allait directement de Berlin à Londres pour y être le parrain du prince de Galles. Son voyage ne devait pas signifier autre chose. » C’était le moyen de conserver sa liberté, puis, une fois arrivé à Londres, d’y faire de la politique, si cela lui convenait, à ses heures et selon sa méthode.
Les Mémoires de Bunsen, qui complètent ici les notes de Stockmar, nous donnent quelques détails sur l’arrivée du roi de Prusse en Angleterre. Le baron de Bunsen était depuis plusieurs mois accrédité auprès de la reine Victoria comme représentant de Frédéric-Guillaume IV. Le 18 janvier, il s’embarqua sur le Feuerbrand pour aller à Rotterdam au devant de son auguste maître ; cinq jours après, le roi de Prusse abordait à Greenwich, où le prince Albert l’attendait à l’hôtel de l’amiral avec tout un cortège de lords et de ladies. Est-il nécessaire de dire que le parrain du prince de Galles reçut de tous côtés l’accueil le plus cordial et le plus magnifique ? Stockmar ne s’arrête point à ces démonstrations extérieures. Homme grave, sévères, un peu sombre, tout à fait insensible aux vanités mondaines, il se réserve pour les occasions où il pourra étudier les personnages qui l’intéressent, apprécier leur caractère et deviner leur politique. Faisons comme lui, laissons là les cérémonies du baptême, les fêtes de Windsor, les dîners, les concerts, les réceptions éblouissantes, suivons Stockmar dans l’appartement du roi de Prusse. Il va être question de politique, non pas seulement de questions politiques allemandes, de celles qu’a réveillées en 1840 l’avènement de Frédéric-Guillaume IV au trône de Prusse, mais de questions qui touchent de bien plus près à l’Angleterre : il va être question de la royauté belge et de son fondateur, l’oncle de la reine Victoria. Le roi de Prusse n’éprouve pas plus de sympathie pour cette création révolutionnaire que n’en éprouve l’empereur de Russie lui-même : or ce qu’il a sur le cœur à ce sujet, ne pouvant le dire ni à la reine, ni au prince Albert, il va le dire en toute franchise au confident du prince, au conseiller de la reine. Il ne prendra pas Stockmar en traître, il n’essaiera pas de l’embarrasser par une attaque soudaine à brûle-pourpoint ; un des hommes d’état prussiens qui ont accompagné Frédéric-Guillaume IV à Windsor, le