Prusse, à les entendre, était le plus pur foyer de l’énergie morale, l’Autriche n’était qu’un foyer de corruption. Là encore c’était la lutte d’Ormuzd et d’Ahriman ; l’Autriche était vaincue d’avance. Enfin, au mois de juillet 1870, comment ont-ils préludé à l’horrible guerre ? Ils ont commencé comme toujours par essayer de flétrir leur ennemi. La mitraille des injures a précédé la mitraille de fer et de feu. Jamais ce que Shakspeare appelle la trompette hideuse des malédictions n’avait jeté par les airs de plus hideux éclats. Ce n’étaient pas les hommes d’épée, officiers ou soldats, qui tenaient ces propos indignes, les braves en tout pays savent honorer ceux qu’ils combattent ; c’étaient les hommes de plume, les literats de taverne, les philosophes du journalisme, les pédans et les rhéteurs d’école, les gens que M. de Bismarck désigne sous le nom de reptiles. Et que disaient-ils d’une seule voix ? Ils disaient : la France est pourrie. Hélas ! pauvre roi Frédéric-Guillaume IV, âme si noble, si poétique, âme si pieusement chrétienne, ils répétaient ce que vous disiez au baron de Stockmar en ce mois de janvier 18421
Si ce rapprochement est cruel pour un personnage auguste, ce n’est pas nous qui le cherchons dans une vue de représailles ; les choses parlent d’elles-mêmes, nous n’avons fait que signaler des échos. N’insistons pas toutefois. Entre Frédéric-Guillaume IV et de tels insulteurs, la distance est trop grande. Il suffit de redire avec Stockmar : « Frédéric-Guillaume IV manquait de tact et de finesse dans la conversation. Le souvenir de sa personne valait mieux que sa présence et ses paroles. On gardait de sa bienveillance une image sympathique et douce, mais il n’a laissé à personne l’idée d’un véritable homme d’état. »
La seule chose que je veuille dégager de cette visite du roi de Prusse à Windsor, c’est un fait inconnu chez nous jusqu’à ce jour et qui, si je ne me trompe, donne un sérieux intérêt à la suite de ce récit. D’après les révélations de Stockmar, il est évident que Frédéric-Guillaume IV, tout en déclarant que son voyage était absolument étranger à la politique, avait porté en Angleterre des préoccupations hostiles à la France. L’amitié de l’Angleterre et de la France, un instant rompue en 1840, très habilement et très heureusement rétablie en 1841 par M. Guizot, consolidée surtout par la révolution parlementaire qui écartait les whigs du pouvoir et mettait lord Aberdeen à la place de lord Palmerston, cette amitié, dis-je, était désagréable au roi de Prusse comme elle était odieuse au tsar de Russie. On sait quel était le dévoûment de Frédéric-Guillaume IV pour son beau-frère Nicolas Ier C’était plus qu’une alliance de prince à prince ou même une amitié de frère à frère, c’était une tendresse passionnée où se mêlait quelque chose de