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dédaigne. — A quoi bon, vous dira-t-elle, un cabinet de toilette quand nous avons les bains publics ? — C’est la même réponse que pour les œuvres d’art : — Nous avons les musées. — On peut se demander si bains et musées sont très assidûment fréquentés. Mais la beauté, mais l’harmonie, mais la forme, mais le charme enfin des choses environnantes, tout ce qui fait l’éducation des yeux et aussi de l’esprit, quoi que vous en disiez, qu’en faites-vous, madame ? Ignorez-vous donc que la plupart des jolies inutilités dont s’entourent vos sœurs étrangères ont une histoire, consacrent un souvenir, marquent une étape dans la vie, et leur tiennent enfin bonne et agréable compagnie en parlant à leur imagination, tandis que vous laissez s’endormir la vôtre sur le sempiternel tricot de la vertu ? Bannir de sa maison toute grâce et toute élégance, c’est presque manquer aux devoirs de l’hospitalité. — Chut ! ce langage scandalise la chaste épouse germaine ; mieux vaut le lui épargner et la suivre, sans hasarder d’observation, jusque dans la cuisine, où vous ne trouverez rien à reprendre, car tout y favorise l’économie, et tout y est aménagé de manière à simplifier les opérations culinaires ; mais quels sont les mets qui sortent de ces cuivres si brillans ? Car enfin le premier mérite d’une cuisine, c’est de produire de bons plats.

Henri Heine a répondu d’avance à la question que nous venons de poser, dans son amusant chapitre de la cuisine nationale et de l’amour comparés : « Des sensibleries pâtissées très indécises, de sincères boulettes aux prunes, de la soupe platonique à l’orge, des omelettes avec des pommes et du lard, de vertueuses andouillettes de ménage, de la choucroute… Heureux celui qui peut digérer tout cela ! » — Nous nous en rapporterons à ce témoignage et à notre propre goût plutôt qu’à l’appréciation d’une dame anglaise, qui est d’ailleurs la première à reconnaître les erreurs de ses compatriotes en matière de gastronomie. Elle a trouvé pour son compte la vie matérielle très suffisante en Allemagne, bien que le poisson de mer, sauf dans les ports, n’existe qu’à l’état de salaison ; mais certains mets sont vraiment délectables, entre autres le rôti de chevreuil arrosé d’une sauce à la crème et les pigeons braisés dans du riz au lait !

Quant à nous, il nous est impossible de partager cette indulgence ; fi des fades saucisses grasses entremêlées de compotes, fi de la soupe à la bière et de tous les farineux : Gries, Grutze, etc., préparés probablement en vue de tromper l’inextinguible appétit des petits-fils de ces Teutons qui, selon Tacite, avaient les intestins plus développés que tout autre peuple en Europe. Sans doute on rencontre une table recherchée de même qu’un mobilier fastueux chez telles notabilités de l’aristocratie ou de la finance qui empruntent leur luxe à tous les pays, mais nous restons dans la classe