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le jeune officier rêve d’échapper à la vigilance de son Vorgesetzten pour se montrer dehors en civil. Il ne se doute pas que ces vêtemens dont il n’a point l’habitude et qui lui vaudront probablement les arrêts lui donnent une apparence gauche et empesée ; sa taille, même délivrée de l’étreinte du ceinturon, demeure raide comme celle d’un mannequin ; ses épaules carrées semblent toujours attendre l’épaulette, sa main cherche involontairement la poignée du sabre et sa démarche saccadée a perdu l’excuse d’une entrave impitoyable. C’était un magnifique soldat, ce n’est plus qu’un épicier endimanché. Bien entendu, il n’est pas question ici des Autrichiens, qui portent avec grâce les habits de fantaisie les plus audacieux.

Puisque nous avons parlé de bals et des officiers qui en font l’ornement, disons un mot des fêtes, des plaisirs, des amusemens en général dans la grande patrie germanique. Ils sont variés à l’infini, mais se ressemblent presque tous sur un point : la séparation sévère des deux sexes. Seule une très-grande dame, élevée par le rang et par l’âge au-dessus de toute critique, peut se permettre d’inviter des hommes à la Kaffee-Gesellschaft, qui est la récréation ordinaire des femmes. En général, ces sortes de réunions, où se consomment plus de pâtisseries variées que dans toutes les autres, participent des mystères d’Eleusis par la stricte exclusion de tout mari, frère ou fils des initiées.

Outre les cafés privés, il y a les cafés publics dans des jardins ouverts à tout venant. Autour d’une pelouse sont groupées des tables rondes, des bancs, des chaises ; un jeu de quilles, une-brasserie, un orchestre, forment les indispensables ornemens de ces lieux de félicité quasi-champêtres. La musique est souvent excellente. Dans l’intervalle des morceaux, vous entendez tomber les quilles, et le cri bruyant de : Kellner ! sans cesse répété se mêle au choc des couteaux sur les verres et des cuillers sur les tasses : des rafraîchissemens variés sont offerts aux familles qui affluent par troupeaux pendant toute l’après-midi. Les jeunes filles rassemblées comme un vol de colombes chuchotent entre elles, tandis que les mamans travaillent au crochet. Herr Papa savoure son Bock ; les Adonis de la garnison se promènent de long en large, sûrs de l’admiration des vierges timides qui baissent les yeux aussitôt qu’un jeune homme ose les aborder, quitte à reprendre, aussitôt que celui-ci a le dos tourné, une conversation assaisonnée de petites mines et d’œillades qui contrastent singulièrement avec leur attitude précédente.

Nous avons dit que les dames ne se permettent que les boissons les plus anodines. Jamais vous ne les verrez tremper leurs lèvres dans le punch ou le Champagne sans mille protestations préalables, mille petits cris affectés. Les Bavaroises font exception : elles