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est humain ; tout brutal qu’il soit, les actes de révolte, de violence et de cruauté lui font horreur, et il jouit avec une naïveté enfantine des plaisirs les plus simples.

Il va sans dire que pour un peuple amoureux de musique, le théâtre n’a pas moins d’attrait que les concerts. On le comprend en Allemagne tout autrement que chez nous ; ce n’est pas un pur amusement, c’est un moyen d’éducation ; les gens vont gravement, presque religieusement entendre le drame ou l’opéra ; les subventions accordées à leurs théâtres par les petits princes d’Allemagne étaient vraiment magnifiques, et c’est le cas de rappeler ici le mot de Goethe, que la culture intellectuelle, en Allemagne, doit plus à ces modestes cours de fer-blanc, comme on les nomme, qu’elle ne devra jamais probablement aux lointaines sympathies impériales de la patrie unifiée. — Si Dresde, Weimar, Hanovre, Stuttgard et Brunswick n’avaient été que des villes de province, les arts n’y eussent pas brillé avec autant d’éclat.

A Berlin, les deux grands théâtres sont des propriétés impériales fortement subventionnées par la liste civile. L’office d’intendant est rempli par un gentilhomme haut placé. Des seize théâtres sans subventions, les plus connus sont le Friedrich-Wilhelmstadt, où l’on joue le drame moderne, l’opéra-comique, l’opérette ; le Victoria, qui est l’équivalent du théâtre de la Porte-Saint-Martin, et Kroll’s, qui rappelle l’Alhambra et le Cremorne anglais réunis. Chez Wallner, on donne des posse mit gesang (bouffonneries avec chant), qui n’offrent aucun agrément aux étrangers, étant bourrées d’allusions toutes locales.

Selon les conditions de votre abonnement, vous allez plus ou moins souvent au théâtre ; les dames s’arrangent pour avoir un fauteuil rapproché de ceux de leurs amies ; les hommes ne sont pas admis dans le « cercle habillé, » pas plus que les femmes ne sont admises dans les stalles réservées à l’élément militaire, qui a toute sorte de prérogatives. C’est presque un devoir, en revanche, pour l’officier, de paraître au théâtre au moins une heure dans la soirée. L’œil du maître aime à se poser sur un parterre en uniforme.

Auprès de la loge du souverain il y a la loge des étrangers, occupée généralement par les voyageurs de distinction qui traversent la ville. La représentation commence à six heures et demie ou sept heures au plus tard. A neuf heures, on est rentré chez soi.

Il y aurait beaucoup à dire sur les acteurs allemands, qui en général honorent leur profession par des mœurs irréprochables. Les femmes sont souvent dignes de l’accueil qu’on leur fait dans les familles de la haute bourgeoisie. Vous rencontrez à la table de personnes très bien posées au point de vue social des comédiennes ou des cantatrices qui causent en toute intimité avec les jeunes filles