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elle ne fait plus que du cabotage. Aucun empire ne se trouve aux prises avec des intérêts aussi compliqués ; la monarchie austro-hongroise, qui compte parmi ses sujets près de 17 millions de Slaves, ne peut subsister que par de continuelles transactions, et les hommes d’état qui la gouvernent ont affaire à des races, à des opinions et à des partis intransigeans. M. de Beust disait autrefois : « J’ai créé en Autriche le parti libéral allemand, et aujourd’hui il me combat. Saturne était plus heureux que moi, il mangeait ses enfans, et je suis mangé par les miens. »

Les Magyars comme les constitutionnels cisleithans sont des partisans résolus du statu quo et de la résistance à la Russie ; ils en veulent au comte Andrassy de ne pas avoir déclaré qu’en tout état de cause il s’opposerait à toute modification territoriale de l’empire ; ils savent que la constitution dualiste et les libertés parlementaires implantées depuis peu à Pesth et à Vienne sont à la merci d’une annexion. Le comte Andrassy ne peut oublier qu’il y a dans l’empire 17 millions de Slaves, et que bon nombre de ces Slaves occupent des places importantes, des postes considérables dans l’armée et dans l’administration. S’il combattait ouvertement leurs intérêts, pourrait-il compter sur leur docilité ? Ne s’exposerait-il pas à de dangereuses tracasseries ? Serait-il sûr que ses ordres fussent obéis ? Le comte Andrassy ne peut oublier non plus qu’il y a à Vienne un parti de l’action et que ce parti, favorable à la Russie, a beaucoup d’influence à la cour. Les chefs du parti de l’action ont des raisons plausibles ou spécieuses à faire valoir en faveur de leur politique. — L’Autriche, disent-ils, a eu quelquefois à se plaindre de la malveillance et des intrigues de son voisin de l’est, cependant ce n’est point la Russie qui l’a dépouillée de ses possessions italiennes et qui l’a exclue de la confédération germanique. Dans les temps durs où nous vivons, il ne faut pas être trop difficile en fait d’amitiés, il faut faire violence à ses penchans et savoir contracter des alliances de raison. Une occasion s’offre à nous de faire quelque chose, de relever le prestige de nos armes, de prouver que nous ne sommes pas condamnés à être éternellement malheureux. Un peuple qui refuse de s’agrandir quand la fortune l’y invite est un peuple fini. La Russie nous offre de nous faire une part dans le démembrement de la Turquie ; acceptons ses propositions, lions partie avec elle ; sinon elle prendra tout ou créera sur nos frontières des états autonomes, qui seront ses vassaux. La perte de l’appétit est pour un homme un pronostic de maladie, et pour un peuple c’est un signe de déchéance ; tâchons de devenir nous-mêmes annexionistes ; dans ce temps de convoitises universelles, il faut prendre ou se laisser prendre. Si nous laissons la Bosnie et l’Herzégovine tomber en d’autres mains que les nôtres, tôt ou tard nous perdrons la Dalmatie. Nous avons pour voisin, à l’ouest, un jeune royaume dont les insatiables ambitions nous menacent et à qui toutes les alliances seraient bonnes pour avoir encore part à nos dépouilles ; les étranges prétentions