cuisine ; c’est dire également qu’il n’y a que des passagers anglais, car toutes les autres nationalités préfèrent, les prix étant pareils, voyager par les messageries maritimes françaises, qui font un service bimensuel alternant avec celui de la P and O. On est d’ailleurs très-confortablement installé sous tous les rapports, et, sauf l’inconvénient de faire quatre repas par jour, dont trois fort copieux, on n’a à se plaindre de rien. Les Anglais, du reste, s’entendent à voyager mieux que peuple du monde ; ils traînent partout avec eux, sous mille formes ingénieuses et portatives, ce confort dont ils ne peuvent se passer et dont l’absence constitue à leurs yeux quelque chose d’improper, d’humiliant ; ils savent s’installer en un tour de main, disposer leur existence d’une façon appropriée aux circonstances ; au lieu de cette précipitation, de cet effarement dont nous donnons le spectacle, ils s’étudient à faire chaque chose nouvelle comme s’ils l’eussent faite toute leur vie. Ce flegme imperturbable, cette égalité sereine d’humeur et de manières, qui étonnent au premier abord, attachent ensuite et font de leur commerce une habitude aussi difficile à changer qu’à prendre.
Du 8 au 13. — Favorisés par un beau temps bien rare dans ces parages et légèrement aidés par la mousson de nord-est, qui est sur le point de changer, nous longeons à toute vitesse les côtes montagneuses du Japon. Voici Ohosima, qui signale l’entrée de la mer intérieure, cette merveille incomparable que j’ai parcourue dans de précédens voyages ; c’est là que les navires circulent entre des îles innombrables, couvertes de verdure, ornées de villages et de châteaux-forts, si pressées les unes contre les autres que l’on se. demande à chaque instant comment on trouvera sa route pour sortir du dédale, et que chaque coup de barre découvre de nouveaux aspects, de nouveaux enchantemens ; mais nous n’y pénétrons pas cette fois et, traversant dans sa largeur le canal de Kio, nous faisons route le long de la côte orientale de Sikok, reconnaissant chaque cap l’un après l’autre, tantôt perdant de vue la côte quand elle se creuse en baies profondes, tantôt retrouvant les lignes de crêtes volcaniques familières aux navigateurs ; enfin nous franchissons le détroit de Van-Diemen, large à peine de quelques milles et signalé par un phare juché au milieu des montagnes tourmentées qui terminent la grande île de Kiusiu ; c’est là qu’il faut saluer une dernière fois le pays du soleil levant et dire adieu à la terre hospitalière, où se sont dépensées pour plusieurs de ces passagers des années que quelque jour sans doute ils déclareront les plus belles de leur vie. Nous voici désormais bercés entre le ciel et l’eau, dans la solitude morne de l’océan, « qui ne produit pas de vignes, » jusqu’à l’approche des côtes de Chine que nous signale la rencontre des jonques de pêche. C’est en effet l’écueil de Turn-about,