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question à l’ordre du jour, le problème dont la solution est l’objet d’une poursuite assidue : serait-il hors de propos de faire remarquer en passant que dans la marine la chose existait bien avant que le nom, dans son acception militaire, ne fût inventé? Elle date de plus de deux siècles.

Tel est donc le spectacle que présente notre frontière de mer, spectacle d’activité féconde, — commerciale et guerrière, — et de richesses accumulées par un travail séculaire; trop souvent dans le cours de notre histoire, la révolution est venue tarir les sources de cette activité et de ces richesses, renversant du même coup le laborieux édifice de la puissance navale. Et maintenant, si après ce coup d’œil d’ensemble on étudie sur la carte la configuration de cette frontière, on y verra des baies ouvertes et accessibles, des îles isolées ou par groupes, des découpures par où les fleuves viennent épancher dans les mers riveraines le tribut de leurs eaux. Les embouchures de nos fleuves, c’est une porte qu’il faut tenir fermée à l’ennemi, ces baies, il faut lui en interdire l’accès, ces îles, ce sont des sentinelles avancées qu’une loi providentielle semble avoir placées en avant de nos ports pour en éclairer l’approche en temps de paix, pour les couvrir en temps de guerre : ainsi Ouessant, Groix, l’île d’Aix, cordouan, Pomègue, les îles d’Hyères[1]. Notre frontière de mer, avec son étendue de 2,500 kilomètres, n’est pas moins vulnérable que la frontière de terre, et sa défense réclame une large part dans la sollicitude du pays.

On se souvient de la crise de 1840. La paix du monde fut gravement compromise, et peu s’en fallut que la France ne se vît encore une fois en face d’une coalition européenne. Nous n’avons pas à rechercher ici les causes de cette crise : rappelons seulement qu’elle produisit dans le pays une émotion profonde, en évoquant le souvenir encore récent d’une double invasion. C’est de cette émotion qu’est née la résolution de fortifier Paris et de reconstituer la défense de la frontière maritime; mais trente-cinq ans et plus ont passé sur ces événemens, et pendant ce temps la science et l’industrie ont marché, poursuivant le cours de leurs conquêtes pacifiques; bientôt à son tour la guerre, s’emparant de ces conquêtes, en a enrichi son domaine.

La guerre, il faut la détester, mais en la détestant il faut se souvenir qu’elle n’en demeure pas moins l’intérêt suprême des nations. C’est avec la guerre, telle que l’ont faite la science et l’industrie, que nous aurons à compter désormais, et nous savons tous, par une

  1. De nos cinq ports militaires, Cherbourg est le seul qui fasse exception à cette loi. C’est que le port de Cherbourg est une œuvre artificielle : ses bassins, c’est la main de l’homme qui les a creusés; sa digue, c’est la main de l’homme qui l’a bâtie pierre à pierre et qui l’a fait surgir du sein d’une mer profonde.