si sensible aux douces affections, « faite pour partager l’amour et non la haine, » dit un vers justement célèbre, et dont l’énergie à braver la mort n’en est que plus touchante, mêle parfois à son dévoûment comme un mysticisme exalté qui la fait vivre dans ce monde des enfers « où Proserpine a déjà reçu la plupart des siens : »
« Je reposerai aimée près d’un frère aimé, saintement criminelle ; plus longtemps il me faudra plaire aux habitans des enfers qu’aux habitans de ce monde ; avec ceux-là, je reposerai toujours. » — « Tu vis, dit-elle à sa sœur, moi, mon âme est morte ; j’ai renoncé à la vie en me dévouant à ceux qui ne sont plus. »
Au milieu des transports de sa passion, elle semble se recueillir au plus profond d’elle-même et y sentir un état mystérieux qui déjà dans la région de la mort l’unit à sa triste famille.
Il y a un passage sur lequel se sont beaucoup exercés les interprètes modernes, et qui en effet paraît étrange. Dans la scène, d’ailleurs si pathétique, où Antigone exhale ses plaintes avant de mourir, se trouve une explication de sa conduite. Ce qu’elle a fait pour son frère, dit-elle, elle ne l’aurait pas fait pour ses enfans, si elle avait été mère, ni pour son mari, si elle avait été épouse. Aucun de ces deux malheurs n’eût été irréparable, car elle aurait pu se remarier et avoir d’autres enfans ; mais, comme son père et sa mère ont cessé de vivre, un autre frère ne peut pas remplacer ceux qu’elle a perdus. Quoi de plus froid qu’une pareille justification ? Aussi des critiques très autorisés rejettent-ils ce passage comme apocryphe. M. G. Dindorf va même jusqu’à supprimer pour des raisons de style presque tout le couplet dont il fait partie, supposant qu’une longue déclamation a été substituée à quelques vers originaux par un interpolateur ancien, peut-être par Iophon, le fils de Sophocle, plutôt par quelque mauvais poète inconnu. Le remède est radical, et l’hypothèse à peu près gratuite. Il faudrait sauver de cette sentence au moins les derniers vers, qui sont d’une incontestable beauté et se lient étroitement à ceux que le chœur prononce immédiatement après. Sans entrer dans une discussion de détail, qui porterait du reste sur des questions de langue et de goût toujours délicates à résoudre, souvenons-nous que de sérieuses raisons doivent nous faire hésiter à employer ces moyens extrêmes. D’abord les vers particulièrement soupçonnés étaient authentiques aux yeux d’Aristote, qui les cite comme de Sophocle au troisième livre de sa Rhétorique. Ensuite et surtout, nous devons nous mettre en garde contre un penchant naturel à ramener aux idées modernes les mœurs antiques, quand celles-ci nous surprennent ou nous répugnent. Il n’est guère de faute de critique à la fois plus commune