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il en avait en quelque sorte resserré les mailles sur le littoral de la Manche, le plus exposé aux atteintes d’un ennemi entreprenant et présent partout. Partout, ne l’oublions pas, nos ports étaient bloqués, ou surveillés de près : plus de commerce maritime, plus de grandes pêches, partant plus de navigation au long cours sous le pavillon national; la petite pêche, le cabotage, c’est-à-dire la navigation d’un port à un autre le long des côtes et sous la protection de leurs canons, voilà tout ce qui restait de cette marine commerciale, si active encore et si florissante pendant les dernières années de la monarchie.

Du haut des falaises qui bordent nos rivages, depuis Calais jusqu’à Boulogne et au-delà, on peut par un temps clair découvrir les blanches falaises de la côte d’Angleterre. Si, quittant cet horizon lointain, on abaisse son regard sur la côte de France, on aperçoit des petits forts ou batteries fermées à la gorge. La haute mer les enveloppe de tous côtés et les fait ressembler alors à des îlots aux contours réguliers et uniformes. Ces forts servaient à jalonner les étapes de nos caboteurs, ils éclairaient leur route et tenaient l’ennemi à distance; c’étaient les sentinelles avancées de notre ligne de défense. Et cependant tous ces travaux n’ont pu opposer aux entreprises de l’ennemi un obstacle efficace. Ils ne font pas empêché de bombarder Le Havre, comme à une autre époque de notre décadence maritime il avait bombardé Cherbourg, Dieppe et Saint-Malo, — d’incendier et de détruire en 1809, devant Rochefort, l’escadre mouillée en rade de l’île d’Aix et d’enlever, jusque sous le canon de nos batteries, les navires qui venaient s’y réfugier. Ils ne l’ont pas empêché d’occuper sur nos côtes des mouillages comme la baie de Douarnenez, qui commande l’entrée de Brest, — la baie de Quiberon, si tristement célèbre pour avoir vu tomber sous des balles françaises les derniers représentans de cette brillante marine qui avait jeté tant d’éclat dans la guerre de l’indépendance américaine. Faut-il ajouter que sur nos côtes de l’Océan plusieurs des îles riveraines étaient devenues le siège d’une occupation permanente, fournissant à l’ennemi des points de relâche et de ravitaillement, et que dans la Méditerranée, aux portes même Toulon, les îles d’Hyères et leur mouillage n’avaient pas échappé à ses entreprises? tant étaient grandes notre impuissance et son audace!

Ces faits, qui trop souvent ont assombri les annales de notre histoire maritime, la science de la guerre ne pouvait manquer de s’en emparer. Ils avaient été commentés dans un mémoire où l’on pressentait déjà le prochain avènement des principes nouveaux que la vapeur et le canon allaient inaugurer de concert; nous voulons parler de la commission de 1841 et de son mémoire sur la Défense des frontières maritimes de la France. En effet, douze ans s’étaient