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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/143

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rétrograde du cours des billets continuèrent à travers diverses vicissitudes sous l’empereur Nicolas. L’on peut dire que sous le règne de ce prince, comme sous celui de son frère Alexandre Ier, la grande préoccupation du gouvernement fut de réduire la circulation et de retirer le papier. Tous les ministres et les hommes d’état de la Russie le tentèrent en vain ; les guerres étrangères, les révolutions de Pologne, des dépenses multiples rendirent tous les expédiens inutiles. Les assignats, retirés à grands frais de la circulation, grâce à des emprunts intérieurs ou étrangers, y rentraient bientôt sous la pression des besoins du trésor. La lutte prolongée des hommes d’état russes contre le débordement du papier-monnaie fait songer au combat homérique du héros grec avec le fleuve Scamandre. Je ne puis raconter ici toutes les péripéties de cette histoire financière vraiment dramatique, et dont en ce moment la Russie ne doit point oublier les leçons.[1] J’en rappellerai seulement le triste dénoûment, la banqueroute partielle, d’où sont sortis les billets russes actuels.

Vers 1840, l’empereur Nicolas ayant perdu tout espoir de relever le cours de ses assignats, se décida à les abandonner en leur substituant un nouveau papier. Pour un rouble métallique, il fallait alors donner plus de trois roubles et demi en assignats. Le gouvernement, s’avouant vaincu, fixa lui-même à ce taux dérisoire la valeur légale du papier qu’il voulait liquider. Cette sorte de consolidation était au fond une banqueroute que la nécessité seule excusait. Le rouble d’argent redevint légalement la monnaie courante; mais, comme le métal manquait, il fallait toujours recourir au papier. On imagina de nouveaux billets appelés billets de crédit, ayant la double garantie des biens de la couronne et d’un fonds en numéraire administré par une commission de financiers et de marchands. L’ancien papier, échangé contre les nouveaux billets, se trouva ainsi démonétisé. Les assignats en circulation avaient une valeur nominale de près de 600 millions de roubles; il suffit pour les retirer de 170 millions de billets de crédit. À ce moment, en 1844, le fonds de garantie s’élevait à 70 millions de roubles; quelques années plus tard, en 1849, il montait à 115 millions dont une partie fut placée par le gouvernement en rentes françaises et anglaises. Une telle somme était suffisante pour garantir les billets en circulation; la Russie semblait rentrée dans des conditions normales, ses finances étaient comme aujourd’hui pleines de promesses lorsque la révolution de 1848 et la guerre de Crimée revinrent compromettre les fruits de toutes ces combinaisons et rouvrir brusquement les écluses à peine fermées de l’émission du papier-monnaie.

  1. Sur cette histoire, voyez Nicolas Tourguénef, la Russie et les Russes, t. II, p. 400 et suivantes, et Schnitzler, l’Empire des tsars, t. III, p. 625, 650.