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toute sorte secondant ses desseins par l’habileté ou par l’audace s’il n’avait pas trouvé tout cela il n’aurait pas pu réussir. Son génie à lui avait été de combiner ces élémens multiples, de les manier avec une entente profonde de tous les ressorts de la politique, et s’il avait réussi jusqu’au bout, c’est qu’il avait su tout préparer. Au fond, ce qui venait d’arriver, ce dernier acte du drame dénoué à Ancone et à Naples, n’était encore, après tout, que le couronnement, peut-être précipité et imprévu, de la pensée qui depuis douze ans ne cessait de procéder par des extensions successives, allant du lendemain de Novare à la guerre de Crimée, du congrès de Paris à la guerre de 1859, de la paix de Villafranca aux annexions et à l’unité. Cette unité, née au dernier moment dans un tourbillon, et on pourrait presque dire conquise sur les passions révolutionnaires autant que sur les Bourbons ou sur le pape, cette unité, elle existait désormais. Elle embrassait l’Italie des Alpes au Phare, moins Venise et Rome, ces deux points immobiles devant lesquels elle devait s’arrêter pour l’instant. Elle avait son roi, son armée, son parlement, son premier ministre. C’était fait. Cavour, tout enivré qu’il fût, comme bien d’autres, de cette prodigieuse transformation, pour laquelle il ne s’était décidé que lorsqu’il l’avait vue possible, Cavour lui-même cependant ne pouvait se dissimuler que tout n’était pas fini. Il sentait bien qu’après le roman et l’aventure l’œuvre du politique restait tout entière, épineuse, compliquée, et au milieu de ses soucis de victorieux, sans douter de l’avenir, mais aussi sans céder à de vaines illusions, il écrivait : « Ma tâche est plus laborieuse et plus pénible maintenant que par le passé. Constituer l’Italie, fondre ensemble les élémens divers dont elle se compose, mettre en harmonie le nord et le midi, offre autant de difficultés qu’une guerre avec l’Autriche et la lutte avec Rome... »

C’était là tout l’homme, patient à préparer les événemens, prompt à l’exécution, et, à chaque pas nouveau qu’il faisait, préoccupé d’assurer le terrain conquis, de le défendre contre l’ennemi extérieur ou intérieur.


I.

La question restait en effet des plus graves. Cavour, qui savait ce que les autres ne savaient pas, qui avait sans cesse l’œil fixé sur l’Europe comme sur l’Italie, Cavour ne pouvait s’y tromper, et il ne perdait pas un moment pour se mettre en mesure de vaincre ou de déjouer les difficultés de toute sorte qui l’entouraient.

La première de ces difficultés était évidemment dans un choc toujours possible avec l’Autriche ouvertement défiée. Si la situation