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contre Cavour. Il s’était retiré en laissant à ses compagnons un ordre du jour par lequel il leur donnait rendez-vous pour le printemps. En attendant, du fond de sa retraite, qu’il n’avait pas même quittée pour aller au parlement réuni à Turin, il jetait feu et flamme. Il laissait échapper les déclamations et les mots d’ordre d’agitation. S’il s’était borné à se faire le défenseur de l’armée méridionale, des volontaires, ou même à réclamer l’armement national, il serait resté dans son rôle, et ses impétuosités de patriotisme, eussent-elles dû. passer pour imprudentes, n’auraient rencontré que des sympathies; mais il ne s’en tenait pas là. Avec son intempérance tribunitienne et soldatesque, il s’attaquait à tout, il diffamait le gouvernement et ceux qui soutenaient le gouvernement; il signalait presque comme le parti de la trahison les modérés, les libéraux, les parlementaires qui reconnaissaient dans Cavour leur premier représentant et leur guide. A une délégation des ouvriers de Milan qui allait lui porter une adresse à Caprera, il disait entre autres choses : « Je compte toujours sur la main calleuse des hommes de ma condition pour la très sainte rédemption de cette terre, et non sur les menteuses promesses des politiques trompeurs, — Malgré les tristes effets d’une politique vassale, indigne du pays, et malgré tout ce que peuvent faire et dire la foule de laquais qui appuient cette politique monstrueuse, anti-nationale, l’Italie doit être, elle doit exister...» Peu après, en acceptant la présidence de l’association unitaire italienne, il prodiguait les mêmes violences, les mêmes excitations; il recommandait à ses compatriotes de se défendre de cette lâche peur que veulent inspirer ceux qui ont trainé l’honneur italien dans la boue... »

C’est avec ces déclamations que le Cincinnatus de Caprera demandait l’armement national! Il abusait étrangement de sa popularité, de son prestige de conquérant des Deux Siciles. Il ne voyait pas qu’il soumettait l’unité italienne, à peine créée, à une épreuve plus redoutable peut-être que celles qu’elle avait connues, qu’il atteignait d’un seul coup le roi, l’armée, le parlement, auquel il appartenait lui-même, et que, si un homme, quel qu’il fut, pouvait parler ainsi, il ne restait plus que la dictature d’une volonté sans frein, d’un ressentiment implacable. Assurément Garibaldi n’avait pas calculé l’effet de ces paroles ardentes, injurieuses, qui remuaient sans doute les passions dans le pays, qui pouvaient trouver un écho dans le Midi, et qui allaient aussi retentir d’une autre manière à Turin, dans les chambres, où elles excitaient les plus vives susceptibilités. Le gouvernement n’était pas seul à s’émouvoir; les députés se montraient résolus à ne pas laisser passer l’outrage, et c’est là que ce conflit singulier prenait une véritable