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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/250

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des États-Unis dans les régions qui sont encore indemnes du phylloxéra. Agir autrement, suivre les conseils d’un viticulteur bordelais en introduisant par provision dans toute la France des vignes des États-Unis pour les avoir prêtes au moment où la vigne indigène devrait leur céder la place, serait la plus insigne des imprudences. Autant le rôle de ces vignes étrangères peut être utile dans les vignobles phylloxérés, autant leur acquisition prématurée serait funeste dans les vignobles encore sains.

Ce danger de l’importation du phylloxéra n’est plus limité, du reste, aux vignes américaines. L’infection peut se faire également par des plants, même européens, venus de pays phylloxérés. Les serres de Prégny, près de Genève, ont reçu l’ennemi par chemin de fer, sur des boutures achetées en Angleterre. Orléans doit les germes d’infection à des cépages venus jadis d’une pépinière d’Erfurt : la Corse est prise sur deux points, Corte et Ajaccio, par le fait d’importations du sud de la France. Conclusion : tout centre infecté devient suspect et dangereux. Il y a sagesse à le tenir pour tel; nous ne saurions blâmer les pays encore sains d’avoir posé à leur frontière un veto d’introduction pour tout sarment venu du dehors. En principe, on peut déplorer une mesure qui gêne ou supprime la liberté des échanges, mais en fait l’intérêt public domine ici la fantaisie des particuliers, et l’on sacrifie peu pour sauver beaucoup. C’est par une considération de ce genre qu’on peut même exagérer la prudence en n’établissant pas de distinction entre les simples sarmens non enracinés et les boutures ou marcottes déjà pourvues de racines. Ces dernières seules sont à vrai dire dangereuses : les sarmens le seraient peu, s’il était prouvé que l’œuf d’hiver du phylloxéra n’est jamais déposé sur le bois d’un an; cependant, tel sarment de bois plus âgé, laissé comme talon au bas du bois de l’année, pouvant receler ce germe phylloxérique, le plus sûr est d’étendre l’interdiction à toutes les formes du bois de la vigne.

Certains états ont fait plus. Ils ont proscrit sans distinction les produits des pépinières et des serres, même chaudes. C’est l’embargo complet mis sur l’horticulture d’utilité et d’agrément. L’Italie a poussé jusqu’à ce degré la logique de la peur, comprenant dans cet arrêté les provenances de Belgique aussi bien que celles de France. C’est aller bien loin, ce nous semble, dans la voie des mesures prohibitives. L’interdit jeté sur les pépinières repose même sur une erreur de fait que j’ai depuis réfutée, savoir que le phylloxéra de la vigne attaquerait également les racines d’arbres fruitiers. L’auteur de cette méprise a voulu prouver son dire en me soumettant ainsi qu’à l’Académie des Sciences les prétendues racines de cerisier chargées de phylloxéra. Or c’étaient à première vue