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Parmi les étrangers de distinction qui méritèrent la faveur de Catherine, il faut citer le mathématicien Euler, qu’elle fit membre de son Académie; mais pour faire de lui « un Prussien libéré, » comme dit Henri Heine, il fallut une négociation en règle avec Frédéric II. « N’est-il pas déshonorant, écrivait en 1766 l’impératrice à Panine, de vouloir tenir aux fers des gens pareils? »

Elle s’intéressait à Beccaria, dont elle lisait alors le beau Traité des délits et des peines, qui en France « a été défendu comme manquant de respect à la législation. » — « C’est un crime nouveau, continue l’impératrice, mais il serait à souhaiter qu’on suivît les maximes de M. Beccaria, qui n’a pas osé mettre son nom à la tête de cet ouvrage. » Autant qu’elle put, elle suivit ces maximes dans son Instruction pour le nouveau code, où l’on retrouvait des passages entiers de l’ouvrage proscrit. Ce n’est pas le livre seulement, c’est l’auteur qu’elle voulait avoir à Saint-Pétersbourg, désireuse de l’employer « à la partie qu’il a choisie lui-même par la publication de son traité. » Elle ordonnait de lui avancer 1,000 ducats, dans le cas où il voudrait faire le voyage. Dans un billet confidentiel à son secrétaire Elaghine, on trouve encore cette mention : « Montre la lettre ci-jointe à l’envoyé de Florence et tâche de savoir ce qu’il faudrait au marquis Beccaria pour le mettre à l’abri du besoin, car, à en juger par son livre, il est digne de toute ma sollicitude. » Le célèbre criminaliste dut décliner l’honneur qu’on lui proposait, et c’est à Paris, à Paris où on le proscrivait, qu’il se rendit.

Dans les papiers de Catherine II on a trouvé le brouillon d’une lettre adressée en juin 1769 à Paoli, le défenseur de l’indépendance de la Corse contre les Français. Cette lettre n’a peut-être pas été envoyée à son adresse; elle ne porte pas la signature de Catherine, bien que la minute soit de sa main. Elle a dû être inspirée à la tsarine moins par son zèle contre « une usurpation injuste, » elle qui préparait alors le démembrement de la Pologne, que par le désir d’occuper en Corse les Français, qui en Galicie et en Turquie lui donnaient tant d’occupations. Voici cette lettre autographe : « Aux braves Corses, défenseurs de leur patrie et de la liberté, et en particulier au général Pasqual de Paoli ! Monsieur ! s’opposer à l’oppression, défendre et sauver la patrie d’une usurpation injuste, combattre pour la liberté, voilà ce que toute l’Europe vous voit faire continuellement depuis bien des années. Il est du devoir du genre humain d’aider et de secourir quiconque témoigne des sentimens aussi grands, aussi nobles et aussi naturels. L’estime seule de vos intrépides actions deviendrait insipide et stérile, si elle n’était réalisée. Heureux d’être en état de secourir en vous la vertu des vrais citoyens, des grandes âmes ! Recevez les fruits que votre