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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/318

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où des pelouses toujours vertes sont ombragées par les plus beaux arbres du monde; au fond, quelques degrés donnent accès à un vaste péristyle en marbre, soutenu par des colonnes d’ordre dorique et surmonté d’un fronton à tympan sur lequel s’ouvre une série de portes conduisant aux diverses parties intérieures de l’édifice. De chaque côté, un pavillon en retraite supporte un faux-attique formant terrasse; les maisons n’ont qu’un rez-de-chaussée très élevé et s’étendant en profondeur. Le salon suit la vérandah, puis un petit atrium, où jaillit, un jet d’eau, le sépare de la salle à manger; les autres pièces de l’appartement sont disposées autour de ce groupe, les communs rejetés hors de la maison. L’imitation du style grec est visible; elle se trouve ici d’accord avec les exigences du climat et la puissance de la lumière qui joue agréablement dans toutes les parties; mais la végétation tropicale écrase quelque peu cette architecture née au pays des oliviers. L’ensemble a néanmoins un grand caractère de quiétude, de gravité heureuse, qui s’accroît encore quand on voit, à l’heure où finit la sieste, les maîtres de ces lieux se prélasser nonchalamment dans les berceuses disposées sous la vérandah, en humant un cigare, tandis que leurs femmes et leurs filles, légèrement vêtues, les cheveux dénoués, se livrent à ce délicieux far niente dont nos frileuses compatriotes ne peuvent soupçonner les charmes, sous leur ciel inclément. Qu’on se représente des avenues immenses, bordées de ces palais récemment badigeonnés à neuf, à la fin de la saison des pluies, encadrées de feuillages vivaces qui débordent sur la rue pour l’ombrager, le tout rafraîchi par une ondée récente et resplendissant maintenant sous un soleil éclatant, et l’on n’aura encore qu’une faible idée de la première impression qui attend le visiteur à Batavia : un parc sans limites et d’une incomparable beauté, semé de pavillons néo-grecs.

Voici parmi ces résidences celle qu’habite le consul de France. La nouvelle de mon sinistre m’y a précédé et me vaut l’accueil le plus obligeant, le plus amical même, de M. Henri Delabarre, qui gère en ce moment le poste. Sans me laisser le temps d’achever le récit de mes malheurs, il met à ma disposition la caisse de son banquier, où je n’hésite pas à puiser largement. Il sait, en me rendant ce service signalé, y apporter une bonne grâce et une délicatesse qui en doublent le prix ; des rapports d’âge, de relations sociales, de goûts, nous rapprochent bien vite, et la sympathie chez moi s’ajoute dès le premier instant à la reconnaissance. A l’heure de la promenade, nous montons ensemble dans sa voiture et nous faisons le tour de Waterloo-plaine et de Kœnigs-plaine. Ce sont comme deux vastes clairières carrées au milieu de la forêt de verdure