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Kiel, et la flotte y trouvera désormais, pour son achèvement et son entretien, un notable appoint de ressources.

La marine allemande a été jusqu’ici tributaire de l’industrie étrangère, et l’on voit encore à l’heure présente s’élever sur les chantiers anglais deux navires cuirassés qui portent les noms de deux grandes victoires allemandes, de deux grandes défaites pour nos armes, Metz et Sedan. Ces deux noms, la marine allemande va donc les perpétuer, elle les promènera sur toutes les mers et nous y rencontrerons, en pleine paix, ces souvenirs poignans de nos défaites; mais il nous siérait mal de nous plaindre, car c’est de nous qu’est venu l’exemple, et les victoires ne nous ont pas manqué pour en inscrire les noms à la poupe de nos vaisseaux. Que la nation victorieuse étale dans ses villes, sur ses places publiques, chez elle en un mot, les trophées de ses victoires, que là elle en consacre le souvenir par des monumens durables, qu’elle en grave les noms sur le marbre et sur l’airain, c’est son droit; plus encore, c’est son devoir. C’est son devoir d’honorer la patrie et de perpétuer le culte de ses gloires pour l’enseignement et l’exemple des générations à venir; mais les promener sur les mers, ces trophées, les étaler chez l’étranger en face des pavillons qu’ils offensent, c’est raviver les haines et perpétuer les rancunes, c’est un défi porté aux sentimens d’apaisement que le temps voudrait faire germer au fond des cœurs. Lorsque Rome victorieuse décernait le triomphe aux Paul-Emile et aux Scipion, elle attachait à leurs chars les captifs, trophées de la victoire, mais ce n’était que pour un jour, pour une heure. Nos trophées, nous les promenons sur les mers pour en infliger le spectacle au vaincu, et ce n’est pas pour une heure, ni pour un jour que nous le condamnons à ce spectacle, c’est à perpétuité, les fils aussi bien que les pères. Ne serait-il pas digne des aspirations pacifiques de l’Europe, digne de la civilisation chrétienne de renoncer à ce raffinement que la civilisation païenne avait ignoré ?

Dans la première phase de son développement, la marine allemande a donc payé un lourd tribut à l’industrie étrangère. Elle l’a payé pour une double cause : elle voulait marcher vite, elle était impatiente de grandir, et ses ressources, ses moyens de production répondaient mal à son impatience; mais elle ne tardera pas à s’affranchir de ce tribut, et les navires qui vont prochainement compléter le programme de la flotte sortiront de ses propres chantiers, — des chantiers de Kiel, de Wilhelmshafen et de Dantzick; — l’industrie nationale y contribuera de son côté, elle y a déjà contribué par la construction des deux frégates cuirassées, Preussen et Leipzig, sorties récemment des chantiers de Grabow sur l’Oder.

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