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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/345

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et ironique ; plusieurs de ces pauvres insectes sont les seuls témoins qui sauvent de l’oubli des souverains ayant régné sur la première monarchie du monde. S’il est vrai qu’ils fussent pour les anciens Égyptiens le symbole de la résurrection, ils n’ont pas failli à leur tâche et ont mérité cette divinisation en ressuscitant à nos yeux tant d’humanité perdue. — Mais laissons cette poignée de siècles et revenons à l’ancien empire : c’est avec ses contemporains que je voudrais surtout causer aujourd’hui ; ce sont les statues, les peintures, les inscriptions des premières dynasties que je voudrais faire parler, à cette heure où tout le reste du monde se tait dans la nuit.


III.

Entrons dans le musée de Boulaq. Dès le petit jardin qui le précède, un peuple de statues nous fait cortège : ce sont les heureux colosses que leurs dimensions ont sauvés de l’emprisonnement et qui contemplent encore de leurs yeux de granit le ciel et le soleil de mai, les reflets lumineux des voiles sur le Nil, les ombres dures sous les acacias, la gaîté des moineaux voletant des lauriers en fleur aux têtes couronnées. — On pénètre dans le vestibule, et toute cette joie bruyante de la lumière s’éteint comme une flamme soufflée : le silence, la solitude, le demi-jour, le respect lui succèdent, bien rarement troublés par quelque étranger curieux ou quelque effendi désœuvré. De nouvelles statues nous reçoivent : la plupart appartiennent précisément à l’ancien empire. Les unes sont de grandeur naturelle, d’autres surhumaines, la meilleure part de plus petit modèle : il y en a de granit de Syène, de diorite, de basalte, de serpentine, de calcaire, — celles-ci généralement peintes, — d’albâtre et de bois. Presque toutes sont étonnantes de conservation ; le temps n’a pas altéré un de leurs contours, pas oblitéré un des signes gravés en creux ou teintés en noir de leurs légendes hiéroglyphiques : la pierre a encore le luisant du dernier coup de ciseau. — Voici le célèbre Képhren, le monarque de la IVe dynastie ; on a vu à notre exposition cette grande stature taillée dans un bloc de diorite verdâtre ; on rêve aux procédés inconnus qui ont pu donner cet épiderme velouté à une roche dont le grain est aussi résistant, aussi rebelle au ciseau que celui du fer. On en peut juger aux éclatemens des genoux et des bras, car le vieux pharaon a subi l’épreuve des révolutions, et son effigie a été précipitée dans un puits funéraire, auprès du grand sphinx ; on a retiré de là plusieurs autres statues du même souverain gravement mutilées : le torse et la jambe de l’une d’elles sont les morceaux les plus achevés que je