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— Non, dit-elle avec violence, je ne l’aime plus ! Je le hais. Il m’a si profondément humiliée ! que lui avais-je fait ? Il m’a prise à mon calme bonheur déjeune fille pour me jeter dans mes sourdes angoisses de jeune femme. C’est la colère et non l’amour qui m’a troublée tout à l’heure. Savez-vous pourquoi il est à Vienne ? C’est que sa maîtresse habite Vienne ! Si elle était Anglaise, il serait à Londres maintenant ! Après m’avoir trompée, il se promène à travers l’Europe avec cette femme !

— Après deux mois ! murmura Mme Prémontré, comme si elle s’était parlé à elle-même.

Elle ajouta, en prenant la main de sa nièce :

— Réponds-moi franchement, ma chère fille. M. de Bramafam est-il un homme perfide, méchant, capable d’une lâcheté calculée ou d’un mensonge révoltant ? C’est un être bon, mais passionné, gâté peut-être par des succès de tout genre. Pourquoi t’aurait-il épousée, s’il n’avait été résolu à remplir ses devoirs ? Tu étais riche ? Il l’est aussi. Pour bien des gens de son monde, son mariage était une mésalliance, il n’a donc pas fait un calcul en t’épousant. Que s’est-il passé ? pourquoi si peu de temps après votre union en aimait-il une autre ?

— Je me le suis souvent demandé, dit Roberte à voix basse, et je ne me suis rien répondu.

Mme Prémontré eut peine à retenir un mouvement de joie. Elle n’aurait pas espéré que Roberte consentît de sitôt à traiter un pareil sujet.

— Ma chère fille, reprit-elle, ne me suis-je pas trompée dans les conseils que je t’ai donnés ? Parce que la destinée s’était montrée dure à mon égard, j’ai cru qu’il en serait inévitablement de même pour toi. On ne raisonne pas avec les sentimens. Je m’étais dit souvent : — Ah ! si mon existence était à refaire ! — Aussi quand l’heure est venue, c’est ma vie que j’ai voulu recommencer avec la tienne. J’avais tort.

— Ce n’est pas vous qu’il faut accuser.

— C’est moi. Si tu ne m’avais pas écoutée, tu aurais été heureuse. Ton mari ne te connaît pas ! Quand je suis arrivée à Lamargelle, tu l’aimais éperdûment. Je me souviens des doutes qui naissaient en toi et que j’ai détruits !

— C’est vrai, dit Roberte en baissant la voix. J’ai été vous chercher à la gare par une belle matinée, je ne sais quelles bouffées de jeunesse m’étaient montées à la tête, j’aurais voulu me trouver en face de… lui, et ne lui rien cacher. Je vous ai tout avoué ; mais une douleur poignante se peignit sur vos traits. Vous me crûtes perdue ; j’ai dans le souvenir tout ce que vous m’avez dit.