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au contraire. Mais ce qu’il y a de plus fort dans ce passage de l’auteur, c’est la phrase « en grande partie. » En admettant même sa doctrine, il en résulte que des droits à une partie d’un tout permettent de prendre le reste. La conscience prussienne s’accommode-t-elle de cette explication et la trouve-t-elle satisfaisante?

Le géographe et son système importent peu d’ailleurs, quoiqu’il ne soit pas le seul dans son pays dont les interprétations soient aussi larges. Ce qui importe, ce sont les revendications officiellement recommandées à la jeunesse avec l’estampille du gouvernement. Fermer les yeux à ces lumières, qui éclairent les visées de la politique prussienne, c’est imiter l’autruche, qui, dit-on, cache la tête sous son aile quand elle est trop vivement poursuivie par un chasseur. Qu’on ne s’étonne donc pas que les peuples alarmés montrent quelque prévoyance et songent à la défense de leur indépendance. Toute la question est de savoir s’ils seraient en état de se protéger eux-mêmes, et l’on pourrait, par un froid calcul des chances probables, se laisser aller au découragement. Sans doute, la première règle est de se conformer au vieil adage : « fais ce que dois, advienne que pourra. » C’est celle qu’a suivie le Danemark lorsqu’il y a douze ans il a soutenu seul la lutte contre les forces écrasantes de la Prusse, au moment où celle-ci fit, au préjudice du Slesvig et du Holstein, une première application de sa théorie des limites « naturelles. » Le Danemark a succombé avec honneur, en protestant au nom du droit et de la justice; mais ce n’est point un exemple rassurant. Les conflits entre des forces tellement inégales ne tournant ordinairement qu’au détriment des faibles, tout sentiment de résistance, s’ils n’avaient d’autre perspective, pourrait s’éteindre en eux; il ne leur resterait qu’à attendre leur sort avec une résignation fataliste. Heureusement leur situation n’est pas si désespérée. L’Europe n’admet pas encore en principe la déchéance du droit au profit de la force. Il peut donc arriver que, le droit se trouvant à certains momens d’accord avec tels ou tels intérêts en état de se faire entendre, les pays dont nous parlons aient la ressource de s’appuyer sur ces intérêts et puissent fournir, soit aux négociations, soit même dans une lutte, l’appoint de leurs moyens défensifs. Si le concours de leurs troupes de terre est par trop insignifiant contre des armées d’un million d’hommes, celui de leur marine pourrait avoir plus de poids dans la balance, car la flotte prussienne n’est pas encore irrésistible.


I.

La Mer du Nord et les régions élevées de la mer Baltique forment d’excellens marins, parce qu’elles sont fécondes en tempêtes. L’hiver le plus rude y sévit pendant huit mois de l’année. Du pôle voisin