la dépense d’abord. Les navires cuirassés coûtent fort cher; la construction d’un seul bâtiment d’escadre, de ceux qui, par leur force, leur armement, peuvent prendre une part active aux batailles navales, pèse bien lourdement sur le budget maritime d’un des états secondaires. Or il n’en faudrait pas moins de quinze pour compléter une grande flotte. Ils coûtent en ce moment de 12 à 15 millions. La création d’une escadre de quinze navires cuirassés entraîne donc une dépense de 200 millions, La Prusse compte en affecter plus de 300 à la construction de sa flotte: mais ni la Suède, ni le Danemark, ni la Hollande ne sont en mesure ou en humeur de faire une si grosse dépense. Tout ce qu’on peut leur demander raisonnablement, c’est de lancer ou d’acheter de temps à autre un navire de cette espèce, afin de suivre, au moins de loin, le mouvement général des constructions navales, non pour lutter contre des escadres, mais pour soutenir l’attaque d’un navire isolé, gêner ou disperser des flotilles de transport, obliger l’ennemi à faire des efforts considérables et gagner du temps, soit pour obtenir des secours, soit pour seconder l’action de la diplomatie. Admettons cependant une éventualité presque irréalisable ; supposons qu’un patriotisme surexcité par la grandeur du péril impose aux gouvernemens des pays menacés des sacrifices d’argent même exagérés; admettons qu’un de ces gouvernemens soit doté des moyens financiers nécessaires. L’opinion publique l’excite, le presse. Pourvu des ressources indispensables, il est mis en demeure de créer une flotte de premier ordre. Comment s’y prendra-t-il ? Ici commencera son embarras. Les grands états peuvent faire les frais de plusieurs escadres successives. Les petits états ne peuvent pas se permettre une telle prodigalité. Les erreurs leur sont interdites, faute de moyens de les réparer. L’exemple même de leur grande antagoniste est de nature à les faire beaucoup hésiter. La Prusse, dans son extrême hâte, s’est exposée à créer tout d’une pièce, en quelques années, une flotte qui sera surannée et dont la force sera dépassée par de nouvelles inventions et de nouveaux perfectionnemens, avant même qu’on l’ait utilisée. Nous l’avons dit dans une précédente étude, et déjà l’événement nous donne raison[1].
La Prusse a construit en quelques années plus de la moitié de sa flotte cuirassée. Elle a déjà de grands bâtimens d’escadre et elle presse la construction fort avancée de plusieurs autres ; mais ils sont à peine achevés et voici qu’ils se trouvent distancés : par l’Angleterre qui a construit successivement dans ces dernières années quatre vaisseaux dont le plus récent, l’Inflexible, pourrait, a dit M. John Paget, tenir tête à toute une escadre. Or voici que l’Inflexible
- ↑ Voyez la Revue du 1er mai 1876.