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nautiques, leurs traversées facilement accomplies, et l’inappréciable avantage de les pouvoir couvrir de fer, grâce à l’allégement du poids de la mâture, décida l’Angleterre à supprimer, au moins sur une partie de la flotte cuirassée, la voilure et les mâts. On s’aperçut que ceux-ci gênaient le tir des tourelles : on les rasa sans hésiter plus longtemps, et aujourd’hui la flotte anglaise compte au nombre de ses navires quatre bâtimens qu’on peut comparer à d’énormes tortues qui nagent couvertes de leur carapace. Ils sont fort disgracieux, mais leur puissance égale et dépasse leur laideur. C’est de l’un de ces quatre navires, le dernier et le plus fort, que M. John Paget a pu dire qu’il tiendrait tête à une escadre. Ainsi qu’on l’a vu, il y a dans le monde en ce moment sept vaisseaux de cette sorte : quatre en Angleterre, un en Russie, deux en Italie. C’est le début; les mêmes gouvernemens ont sur chantiers d’autres bâtimens du même ordre. On n’a pas encore le projet de remplacer les cuirassés matés par des escadres entièrement composées de navires sans mâture. On se propose seulement, quant à présent, de les distribuer dans les escadres comme corps de bataille pesamment armé; mais peu à peu ils envahiront la place: les vaisseaux matés à cuirasses moins épaisses seront mis de côté les uns après les autres, et il ne se passera peut-être pas un temps bien long avant que les bâtimens sans mâture soient en majorité dans les escadres blindées. En effet, on ne voit pas de bornes à cette lutte de la cuirasse et du canon; elle a déjà atteint des proportions tout à fait exagérées, et l’on n’en aperçoit la fin possible que par la substitution d’un agent de destruction qui rende le blindage superflu, — les torpilles par exemple, qui seraient plus meurtrières et infiniment moins coûteuses. Au point où l’on en est arrivé, il n’y a plus rien de possible dans la voie où l’on est entré. Lors de la construction des premiers vaisseaux cuirassés, l’épaisseur du blindage était de 12 centimètres; on l’a portée à 30 et 35 centimètres, et le dernier navire sans mature, l’Inflexible, le parangon de la flotte anglaise, est cuirassé à 61 centimètres. Quant à l’artillerie, elle a passé du canon de 27 centimètres à celui de 32 centimètres 1/2, et du poids de 35 tonneaux à 81 tonneaux. Le bâtiment construit en Italie porte des pièces de 100 tonneaux fabriquées en Angleterre dans les ateliers de sir W. Armstrong. Eh bien ! lorsque ce type de navires sans mâture aura été porté à sa suprême puissance, on peut être certain d’avance qu’une nouvelle transformation aura pris faveur et sera à la veille d’y être substituée.

Voici déjà qu’on imagine de nouveaux remaniemens. Des marins d’autorité et de mérite, voyant bien qu’on en arrive, à force d’inventions et de progrès, à un vrai gaspillage des ressources publiques, et comprenant la lassitude des esprits à la suite de tant d’innovations