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pas la mise en chantier des navires ordinaires, tels que canonnières, porte-torpilles et bâtimens de grande marche non cuirassés. Enfin le ministre exposait encore à la Chambre la nécessité de protéger Copenhague même par un ensemble de fortifications telles qu’elle fût mise à l’abri d’un bombardement. Il est fort naturel en effet que les Danois n’aient pas oublié l’événement du 2 septembre 1807 : cette date mémorable d’une attaque sans déclaration de guerre. Ce jour-là, Copenhague, à son réveil, fut saluée par la flotte anglaise qui fit tomber sur elle un ouragan de fer et de feu : en quelques heures, les ruines s’amoncelèrent; les femmes, les enfans, surpris, furent frappés et périrent. Cette tempête dura trois jours. A la fin de cet abominable massacre, opéré au nom de la politique, trois mille personnes avaient péri ; une moitié de la ville était incendiée. Les Danois veulent empêcher le renouvellement d’un tel acte de barbarie. Pleins du souvenir de cette époque, souvenir renouvelé par le dernier bombardement de Paris, ils veulent tenir les bâtimens ennemis hors de portée. Le gouvernement demandait donc la construction de deux nouveaux forts, l’un à la pointe nord, l’autre au sud de l’entrée du port ; et, pour fermer la rade, il proposait d’y établir un système complet de torpilles sous-marines. Ce projet, qui paraissait fort bien conçu, a rencontré de grandes difficultés. La principale est la question d’argent : les seules défenses de Copenhague entraîneraient une dépense de 57 millions, celles du Grand-Belt à peu près 4 millions ; le Petit-Belt absorberait 1,800,000 francs; la Seeland et le Sund, 7,800,000 francs : au total, environ 72 millions. Il y fallait ajouter 30 millions pour la flotte, en tout plus de 100 millions : somme énorme dans un royaume où le budget ne dépasse pas 70 millions. Le ministère a proposé de répartir cette dépense sur huit années. Mais au commencement de cette année le Rigsdag ne s’était point encore décidé à obérer ainsi ses finances. Ajoutons que le ministre avait manqué de l’adresse des vieux parlementaires. Quand M. de Bismarck voulut obtenir un emprunt pour la construction de la flotte prussienne, il imagina des périls, il grossit les forces des adversaires, il fit, en un mot, tous ses efforts pour effrayer la Chambre. Le ministre danois a suivi une tactique toute différente : il a parlé des probabilités d’une longue paix, et, dans cette espérance, les députés ne se sont pas pressés de dénouer les cordons de la bourse publique. Et voilà que des complications ont surgi qui menacent la paix générale et trouvent le Danemark à peu près désarmé. Le patriotisme ne manque pourtant pas dans ce oc petit pays, » comme l’appellent les Danois, avec une sorte de tendresse touchante !