Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/586

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des Babyloniens; il se fait recruteur, raccoleur d’hommes; il ne peut comprendre qu’un Français puisse aller combattre contre elle, et pour les Turcs. « Je représentai à mon colonel corse, écrit-il, combien son idée était peu chrétienne; je lui mis devant les yeux la supériorité du Nouveau-Testament sur l’Alcoran; mais surtout je lui dis que c’était un crime de lèse-galanterie française que de combattre pour de vilaines gens, qui renferment les femmes, contre l’héroïne de nos jours. » Peut-être est-ce le souvenir des officiers français envoyés alors à l’armée turque par Choiseul qui a pu inspirer cette fable récemment propagée par les journaux de Vienne et reproduite, avec une émotion facile à comprendre, par les journaux russes : on prétendait que des officiers anglais et français avaient traversé le territoire autrichien pour aller servir dans l’armée turque. L’inventeur de cette nouvelle à sensation s’est cru sans doute en 1769 ; il s’est trompé de siècle.

Catherine II n’entretient pas Voltaire seulement de ses victoires, elle célèbre la prospérité intérieure de l’empire, les progrès de la tolérance, le développement de ses colonies du midi, et lui assure que tout paysan russe, non-seulement peut manger une poule quand il lui plaît, mais que, « depuis quelque temps, il préfère les dindons aux poules. » Henri IV, qui cependant était de Gascogne, n’avait pas prévu ce trait-là, et sa poule au pot est singulièrement distancée par les dindons de la tsarine.

Catherine II, qui devait une si belle part de sa gloire à Voltaire, Catherine, qu’il mettait au nombre des astres et qu’il appelait au trône de Bysance a-t-elle toujours été reconnaissante pour « son chevalier?» N’a-t-on à lui reprocher aucune de ces petites perfidies qu’on se passe entre amis? Je n’oserais l’affirmer, car deux ou trois fois je la vois écouter avec complaisance le mal qu’on dit du patriarche de Ferney. Elle confiera au prince de Ligne qu’elle a éprouvé quelque désenchantement à son sujet; elle recommandera à Stahl et à ses cousins du Holstein de ne pas visiter Genève, « afin de ne pas se trouver dans le voisinage de Voltaire. » Elle laissera dire à Falconet : « Le flambeau de Voltaire, approché de trop près, n’embrasera-t-il pas le bon ordre de la société? Il est aisé de détruire le fanatisme; mais, messieurs, qu’édifierez-vous à la place? Il n’est pas permis à tous de savoir tout. » Plus tard, quand éclatera la révolution française, elle reniera son vieil ami, assure-t-on, et fera enlever son buste de ses appartemens.


II.

Aux lettres déjà publiées que peuvent ajouter les nouveaux documens? Dans les archives de Moscou, l’on a retrouvé les minutes