il écrit à l’impératrice que « la statue de Marc-Aurèle est convenable pour Marc-Aurèle, et que la statue d’un autre doit être convenable pour un autre; » en 1770, il rédige ses Observations sur la statue de Marc-Aurèle, où il montre tous les vices du prétendu chef-d’œuvre et où il donne les étrivières à Betski sur le dos du coursier antique. « Si un homme est assez honnête pour ne point flatter un ridicule amateur, fût-il Mécène, il peut, il doit même s’opposer au torrent de l’aveugle préjugé et réclamer contre tout despote qui prétendrait connaître mieux que lui les ressorts de son art; et si ce despote était un Midas.... etc. » Comment Betski n’eût-il pas été tenté de se reconnaître dans ce despote « Midas, » dans ce « Mécène » aux longues oreilles, dans ce « ridicule amateur » qui voulait faire la leçon aux artistes? Betski avait adopté les conclusions des fameux rapports de Bilistein; or Falconet écrivait en 1769 l’amusant pamphlet intitulé Réponse à l’auteur du Mémoire sur la statue de Pierre le Grand. Comment Pierre le Grand peut-il contempler l’amirauté de l’œil droit, ouvrir ce même œil et l’étendre sur un vaste empire, regarder de l’œil gauche le Vassili-Ostrof, porter en même temps ses regards sur l’Ingrie? « Savez-vous, monsieur, continue Falconet, combien cette idée est neuve et combien de temps elle le sera? Cette manière de regarder n’a encore existé, que je sache, ailleurs que dans ce dicton : il a un œil aux champs et l’autre à la ville, et dans celui-ci : il regarde du côté de la Bourgogne pour voir si la Champagne brûle... Les plus grands statuaires de l’antiquité n’ont jamais approché de ce superfin, et la tête du Jupiter sublime de Phidias avait beau avoir des sourcils majestueux, on avait beau y reconnaître cette puissance qui ébranlait l’Olympe, je vous jure qu’elle n’était qu’une tête à perruque en comparaison de celle que vous proposez. » Falconet ne désigne l’auteur du Mémoire que par les initiales : Monsieur de B... mais comment savoir qui était Monsieur de B...? Était-ce le général Betski ou simplement Bilistein? On pouvait s’y tromper, et les Pétersbourgeois se firent assurément un malin plaisir de la confusion.
Falconet avait la main aussi leste comme écrivain que comme sculpteur. Ses livres sont pleins des morceaux de polémique qu’il décochait à ses adversaires tout en modelant son cavalier gigantesque. Semblable aux Juifs de Zorobabel, il avait d’une main les outils pour édifier et de l’autre l’épée pour repousser les Philistins. Quelques idées qu’une gazette allemande a occasionnées, — Extrait d’une lettre à M. Diderot, — Sur le livre d’un Anglais, — Sur une opinion de Lessing, — Entretiens d’un voyageur avec un statuaire, — Petit différend, etc., autant de pamphlets acerbes dont la statue de Pierre le Grand ou celle de Marc-Aurèle étaient l’occasion et dont les traits égratignaient son excellence M. de Betski.