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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/618

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font partout fortune enseigne au travailleur qu’il doit trouver dans son labeur autre chose qu’un misérable gagne-pain au jour le jour, et qu’il est dur de prendre tant de peine pour n’enrichir qu’un planteur étranger ou un caissier de douanes; le problème du siècle, en un mot, le terrible antagonisme du travail et du capital, se pose d’une manière confuse et indistincte dans des intelligences crépusculaires, et, sans se formuler, engendre un malaise, un mécontentement, une sorte d’ébranlement dans toute la machine. Le moment serait mauvais et dangereux pour subir un échec, et malheureusement la Hollande n’a pu traverser sans quelques revers une guerre qui n’est pas encore terminée.

Il est difficile à un bon patriote de parler d’Atchin, ou plutôt d’Attieh, sans avoir à réprimer une poignante émotion. La colonie porte là dans son sein une plaie ouverte, et le cœur lui saigne à voir le plus clair de ses revenus et les plus chers de ses enfans dévorés par cette hydre sans cesse renaissante. On se rappelle les péripéties de cette lutte, les graves échecs du début, puis les succès des armes néerlandaises, la prise du Kraton; mais le sultan vaincu n’était pas soumis : aujourd’hui encore, tout chef qui parlerait de soumission serait déposé par une population fanatique et décidée à poursuivre la lutte jusqu’au dernier homme. Il ne faut donc pas plus songer à traiter, à offrir la paix aux rebelles sous certaines conditions d’obédience, qu’il ne faut espérer de quartier pour les prisonniers. On ne peut pas non plus moralement abandonner le terrain aux 80,000 musulmans réfugiés dans les montagnes, sans perdre du même coup aux yeux de tous les insulaires de Sumatra, de Java, de l’archipel entier, ce prestige qui fait la seule force du gouvernement colonial; bien plus, c’est déjà le compromettre que de mettre si longtemps à triompher, et autant une victoire consoliderait la puissance néerlandaise en montrant qu’Allah est décidément de son côté, autant un insuccès ou même trop de lenteur à vaincre pourrait en ce moment l’ébranler. Il faut donc vaincre à tout prix; chacun le sait, chacun le répète, et le triomphe se fait attendre, au milieu des souffrances et des fatigues d’une guerre terrible, impitoyable de part et d’autre, guerre d’embuscades, d’égorgemens et d’assassinats, sous un climat mortel, au milieu de marécages qui font encore plus de victimes que le plomb si sûr de l’ennemi. Les Hollandais occupent la plaine et ont ainsi l’avantage des communications faciles, mais l’inconvénient d’un climat insalubre. Les Atchinois sont réfugiés dans des montagnes à peu près inaccessibles, où les villages soumis en apparence leur font passer en secret des vivres et des munitions; ils ont emmené avec eux femmes et enfans; tous les âges et tous les sexes parmi eux savent