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Là, au fond d’une chapelle, se dresse l’image gigantesque de Bouddha ; il est assis les jambes croisées, les deux index en l’air ; la tête mesure environ 1 pied 1/2, le reste est en proportion. Sur les autres parois sont des images moins grandes du dieu dans diverses postures, puis des peintures qui représentent l’histoire, le martyre, la glorification, les miracles et la prédication de Bouddha chez les différentes peuplades de l’Inde. Devant la divinité se trouvent des fleurs déposées en offrande et une petite sébile où nous sommes invités, toujours silencieusement, à déposer un témoignage un peu plus sérieux de notre respect. Plus loin, à Colombus, si la durée de l’escale nous le permettait, nous trouverions un des temples les plus célèbres de l’Inde et des hypogées d’une haute antiquité. Nous avons déjà vu d’autres pagodes bouddhistes, sans compter des temples protestans et une jolie église catholique récemment bâtie. Quelle différence entre cette ferveur et la tiédeur de Java, où j’ai voyagé pendant plus de trois semaines sans apercevoir un seul édifice religieux!

Il faut toute l’inclémence d’un soleil de plomb pour qu’on se résigne à abréger la promenade dans ces sites gracieux, où la nature étale toute sa puissance avec toute sa poésie. A chaque pas, l’œil est fasciné par un effet de lumière inattendu et saisissant : il n’y a si misérables haillons qui ne deviennent superbes sous ces rayons éclatans. Au détour d’une allée ombreuse et solitaire, vous voyez venir une femme pieds nus, retenant de la main droite une corbeille sur sa tête, tandis que de la gauche elle soutient son enfant posé à cheval sur sa hanche ; une légère camisole blanche flotte sur sa taille et indique les rondeurs d’une poitrine de bronze, ses yeux dardent des regards qui semblent chargés de langueurs et d’éclairs; ses cheveux ondulés découvrent un front bas; les lèvres épaisses, ensanglantées par l’usage du bétel, laissent voir des dents d’une blancheur féroce; des anneaux passés aux chevilles, aux poignets, aux bras et dans le cartilage du nez, enfin un collier de verroterie, complètent l’aspect à demi sauvage de ces Vénus noires. Les hommes sont généralement plus beaux, plus élégans dans leurs formes; chez toutes les populations où elle est vouée au travail la femme, flétrie et déformée par la maternité et l’allaitement, dès qu’elle a atteint sa croissance, n’a pour ainsi dire qu’un jour, et la simplicité de son costume ne lui permet pas de se faire un lendemain au moyen des artifices usités ailleurs. L’homme, intact dans sa forme, conserve du moins jusqu’à la vieillesse la régularité et les proportions de l’adolescence : seulement la décadence de la race se fait voir à une certaine faiblesse musculaire, à un aspect efféminé que prononce encore plus la chevelure longue et relevée sur la tête en