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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/647

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centre et le nord de la France, mais encore la Suisse, la Belgique, l’Allemagne occidentale. Au point de vue des relations commerciales du continent avec le bassin de la Méditerranée, aucun autre fleuve de l’Europe ne peut lui être comparé. Aucun non plus, sauf peut-être le Rhin, ne saurait lutter avec lui pour les souvenirs qu’il réveille, pour le pittoresque des rives. Sur chaque cime, sur l’un et l’autre bord, c’est un vieux castel démantelé qui raconte plus d’une sombre légende; puis ce sont les basaltes de l’Ardèche, dernières coulées des volcans éteints de l’Auvergne, du Velay et du Vivarais, qui dressent à de grandes hauteurs leurs têtes noires, découpées en prismes, ou bien les coteaux semés de vignes où se produisent le vin de l’Hermitage et les vins blancs mousseux de Condrieu et de Saint-Peray. En descendant le fleuve, on salue Viviers, siège d’un évêché antique, Avignon et ses murailles crénelées du moyen âge qui rappellent celles des cités toscanes, Tarascon et Beaucaire avec leurs imposans châteaux-forts, modèles classiques de la vieille architecture militaire, Arles et ses magnifiques ruines romaines. Les ponts sur le fleuve ont je ne sais quoi d’élégant. C’est ici que les premiers pères pontifes édifièrent quelques-unes de leurs œuvres hardies : le pont Saint-Esprit, le pont d’Avignon, sont restés célèbres, même dans la chanson ; c’est ici encore que furent audacieusement jetés les premiers ponts suspendus en fil de fer, inventés en France par M. Seguin, d’Annonay, ou quelques-uns de ces ponts métalliques au tablier plat ou cintré que les voies ferrées ont depuis fait adopter partout. Quelle richesse dans les campagnes environnantes ! C’est depuis Probus le pays de la vigne, où chaque coteau donne son nom à un crû fameux ; c’est, depuis Sully et Henri IV, le pays des mûriers et de la soie, et depuis le Persan Althen, qui dota Avignon d’une racine précieuse, le pays de la garance. Et, comme si le règne minéral avait voulu aussi entrer en lutte, c’est ici que sont les mines fécondes de l’Ardèche et de l’Isère, riches en fer, en plomb, en cuivre, en zinc et en argent, et les usines métallurgiques, dont les cheminées, la nuit, éclairent les rives du fleuve comme des phares gigantesques.

La Saône, qui rejoint le Rhône à Lyon, est comme le prolongement du fleuve, ayant la même direction que lui; mais elle ne coule plus dans les mêmes terrains et ne nous raconte plus les mêmes histoires. Au point de vue de la navigation, le rôle qu’elle joue n’en est pas moins capital; elle reçoit les produits amenés par le Rhône et destinés au nord, et confie aux eaux du fleuve tous ceux qu’elle transporte vers le midi. Le groupe de la Saône comprend la rivière elle-même, le canal du Rhône au Rhin, réduit pour la France, depuis la perte de l’Alsace-Lorraine, à 192 kilomètres, et qui se