Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/649

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire pour porter le mouillage la Saône de 1m,60 à 2 mètres qu’à 17,500,000 francs, et il espère par là doubler le trafic de la rivière et lui rendre son ancien éclat. Avec le Rhône, il y a non moins d’urgence, mais ici surgissent tout à coup des difficultés de plus d’un genre et considérables.

La partie vraiment importante du fleuve s’étend de Lyon à Arles sur 283 kilomètres : c’est là ce qu’on nomme le Bas-Rhône. Le Haut-Rhône, entre Lyon, Je lac du Bourget et le Parc en aval de Genève, ne dessert qu’un trafic assez restreint de marchandises et de voyageurs. Des bois, des pierres de taille très recherchées, arrivent à Lyon par cette voie, et dans la belle saison quelques touristes vont visiter la Savoie en remontant le Rhône en bateau à vapeur jusqu’au lac du Bourget. Dans toute cette région, le lit du fleuve est tourmenté, fréquemment encombré de rochers, comme le lit d’un fleuve alpin. Quant au lit du Ras-Rhône, il est mobile, formé de sables et de graviers qui se déplacent comme ceux du Mississipi, qui a du moins une grande profondeur. En outre le débit est inégal, torrentiel, la pente très forte et par conséquent le cours rapide; puis les glaces, les crues souvent redoutables, les basses eaux, les brouillards, y occasionnent de fréquens chômages. La navigation en descente est laborieuse, exige des bateaux longs et plats et des mariniers exercés; la remonte est aussi très difficile : avec tout cela, le trafic va diminuant d’année en année. Naguère le Rhône transportait encore 600,000 tonnes. Aujourd’hui le trafic est réduit de moitié; les deux tiers sont à la descente. En 1873, le tonnage total du Rhône n’a pas dépassé 275,000 tonnes.

Les embouchures du fleuve sont une nouvelle source d’embarras. Elles sont multiples, et composent ce qu’on nomme un delta à cause de la forme même qui les distingue. Le Nil, le Danube, le Gange, le Mississipi, ne sont pas en cela plus favorisés que le Rhône. Ce delta est formé par les sables que le fleuve verse à la mer, et que la direction des courans et des vents marins rejette sur le rivage au lieu de les entraîner. Il s’élève ainsi une digue, une barre, que le jeu des forces naturelles maintient ou déplace fort peu. Le fleuve, incertain, inquiet, modifie à chaque instant son cours, varie la forme et le nombre de ses embouchures, et avance sans cesse dans la mer. Tout cela rend presque impossible la navigation du delta, de ce qu’on appelle le Rhône maritime, et l’on ne peut ici vaincre les forces aveugles de la nature qu’en tournant la difficulté. C’est pourquoi il a été établi au commencement du siècle un canal d’Arles au port de Bouc, et un autre tout récemment de la tour Saint-Louis à la mer. Le canal de Beaucaire à Aigues-Mortes, déjà conçu sous Henri IV, a été ouvert dans le même dessein.