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plus autrement, même les paysans, qui n’y mettaient d’ailleurs aucune intention moqueuse, et croyaient sincèrement lui donner son vrai nom.

Notre brave héros a tant de qualités éminentes qu’on peut supposer plus ou moins « holophernesques » que rien ne m’embarrasserait comme d’être obligé de les énumérer. Une des plus recommandables est incontestablement la franchise qu’il met à avouer la médiocrité de son origine. Il ne connaît ni les fausses hontes ni l’orgueil du parvenu, il n’éprouve aucun embarras à raconter à quiconque l’aborde pour la première fois qu’il est le fils d’un honnête paysan et que son berceau, simple et sans ornement, était placé dans une chaumière qu’il habita plus tard après la mort de ses parens, ladite chaumière ayant été absolument construite sur le modèle d’un de ces blockhaus qui émaillent les prairies américaines.

Quarante ans il a servi l’empereur et porté le mousquet durant la plus grande partie de son temps. C’est seulement au régiment qu’il a appris à lire et à écrire, et, autant que le lui permettait son service, dévoré nombre de volumes ramassés dans tous les coins. Il a récolté dans ce fatras les connaissances historiques, politiques et esthétiques qui lui sont particulières, comme aussi une philosophie spéciale dont la base contient des aperçus d’une grandeur primitive, il est vrai, mais toujours droite, car, il le dit dans sa phrase favorite, qu’il emploie à tout bout de champ, qui lui est personnelle et n’appartient à aucun autre qu’à lui : « Tout dépend de l’effet moral. » Ce qu’il entend par ces mots, je n’ai jamais pu m’en assurer complètement, mais il n’y a guère de doute qu’ils ne signifient quelque chose comme « Allah est grand, » ou « aime ton prochain comme toi-même. »

Le lieutenant est célèbre à la ronde pour sa sévérité et sa propreté de soldat. Quand je dis sévérité, je comprends celle qu’il se témoigne à lui-même autant que celle qu’il fait sentir aux autres. Il est capable de poursuivre pendant une heure une mouche tout autour de sa chambre de peur qu’elle ne souille un des tableaux qui décorent sa muraille et où sont représentés des combats où l’on voit moins de combattans que de fumée, ou de peur d’une tache sur ses livres qu’il relie lui-même, ou sur quoi que ce soit. C’est à ce point, raconte-t-on, qu’il força un jour, le pistolet sur la gorge, un jeune comte qui avait eu l’audace d’entrer dans sa chambre avec des bottes sales, à balayer de ses mains aristocratiques la terre qu’il avait de la principauté allemande apportée sur le parquet à la semelle de ses souliers.

Peut-être le génie de la mécanique était-il inné chez lui ! Quoi