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« Ce doux jardin, cette belle dame, ces formes ravissantes, ces parfums enivrans, en vérité n’ont point péri. C’est nous, c’est notre être qui a changé, non pas eux.

« Pour l’amour, la beauté, la joie, il n’y a ni mort, ni changement. Leur puissance excède nos organes, qui ne supportent point la lumière, étant eux-mêmes obscurs. »


C’est ainsi que le lyrisme de Shelley, après avoir fait le tour de la nature, conclut à un panthéisme platonicien. Tout d’abord il s’est lancé par-dessus le monde avec l’essor de l’enthousiasme. Si toute la nature lui semblait un mystère solennel, il s’est reconnu lui-même dans le cri de l’alouette, et cette voix l’a pénétré comme le message d’un monde divin. Pour le chercher, il s’est fondu avec les élémens, il a participé à leurs éternelles métamorphoses, il a goûté leur ivresse et leur furie. Il s’est éveillé avec les fleurs à une vie plus douce, plus intime, plus concentrée, à la sensibilité avec la sensitive, à la conscience avec la dame merveilleuse du jardin ; il s’est épanoui dans ce monde de beauté. Puis il l’a vu dépérir, il a traversé l’horreur de la mort. Tout cet univers n’est donc qu’une brillante illusion? Non, quelque chose survit au naufrage universel dans la pensée du poète; c’est l’esprit qui lui a parlé à travers tous les êtres depuis la voix de l’alouette jusqu’au muet frémissement de la sensitive, au regard d’amour et au fluide sympathique qui des yeux de la dame merveilleuse tombait sur les fleurs. Le divin est comme l’essence plus subtile du monde que l’homme recueille dans son cœur. Si la destinée de l’individu est éphémère et obscure, il y a quelque chose qui demeure et qui plane au-dessus du gouffre dévorant de la nature, ce sont ces puissances éternelles qu’il y a reconnues : l’amour, la beauté, la joie, lesquelles sont les manifestations éclatantes du seul être qui existe véritablement et que l’humanité nomme Dieu. En s’y élevant, l’homme est déjà parvenu à une sphère supérieure à la nature, il échappe à ses terreurs et atteint dans une douce résignation à la force et à la sérénité.


III.

C’est avec ce sentiment délicat, cette imagination ardente, cette philosophie profonde que Shelley a pénétré la nature dans son lyrisme. Comment a-t-il vu le monde humain qui réserve au penseur des questions bien plus complexes, au songeur enthousiaste des épreuves autrement redoutables? On reconnaît par l’ensemble de son œuvre que le problème de la souffrance humaine s’agitait toujours au fond de sa pensée et que le poète y avait jeté plus d’un perçant regard sans faiblir dans ses convictions, sans faillir à son